Quelques questions à propos des débats sur le créationnisme

      Dans le débat « Faut-il dialoguer avec les créationnistes ? [La Recherche, 442, juin 2010] », Guillaume Lecointre écrit que les scientifiques ne doivent pas entrer dans un tel dialogue. Cela peut se défendre. Mais, dans le cas présent, son argumentation appelle un certain nombre de questions.

      • Pourquoi les « contraintes idéologiques » auxquelles seraient soumis les créationnistes feraient de ces derniers — sous-entendu, uniquement de ces derniers — des « stratèges en communication » ? Un Richard Dawkins, adversaire déclaré des créationnistes, n'est-il pas lui aussi un « stratège en communication » ?
      • Pourquoi affirmer, comme si c'était une marque distinctive du scientifique évolutionniste, que le « scientifique ne peut traiter que des faits » ? Le créationniste ne cherche-il pas lui aussi à établir des faits ?
      • Pourquoi affirmer qu'un scientifique « doit s'abstenir de faire valoir ses options métaphysiques personnelles » ? Quel philosophe ou historien des sciences défendrait encore l'idée que les conceptions métaphysiques n'ont aucun rôle à jouer en science ? Ce n'est certainement pas Popper, Lakatos ou Kuhn, pour ne citer que quelques classiques. D'ailleurs, Lecointre pourrait-il citer, puisqu'il l'exige de leur part, un grand scientifique ayant laissé « ses options métaphysiques […] au vestiaire du laboratoire » ? Newton ! Einstein ! Dawkins !
      • Que peut bien signifier l'idée qu'un scientifique « produit de la science de manière tacitement laïque » ? Que vient faire ici la notion politique de laïcité, relative aux rapports de l'État et de la religion ? Qu'a-t-elle à voir avec la science ? Lecointre, après avoir déclaré que le scientifique doit laisser « ses options […] politiques personnelles au vestiaire » voudrait-il subrepticement assujettir la science à sa conception de la politique ?
      • Peut-on vraiment affirmer que le développement du créationnisme « traduit […] le schéma d'une revendication communautariste ou d'une politique théocratique » ? Cela veut-il dire que les créationnistes, dans leur ensemble, donnent plus de valeur à la communauté qu'à l'individu ou que leur premier objectif est d'instaurer une théocratie ? C'est peut-être vrai pour certains, mais quelle enquête sérieuse permet de faire une telle généralisation ?
      • Où Lecointre a-t-il lu que les créationnistes situaient « l'espace expérimental » en dehors du monde physique ? Si Dieu est intervenu dans l'histoire du vivant, comme ils le pensent, n'est-ce pas dans l'espace physique qu'ils recherchent des traces de cette intervention ?
      • Enfin, comment Lecointre peut-il affirmer catégoriquement que le créationnisme « n'est pas de la science » quand on sait que les philosophes n'ont toujours pas réussi à s'entendre sur des critères de scientificité ? Cela veut-il dire qu'il fait fi du « processus collectif » de la recherche — auquel pourtant il se dit attaché — pour l'instant non-conclusif sur ce problème épistémologique.
      Bref, plutôt que d'« éclairer [le public sur] les stratégies et les manipulations des créationnistes », l'objectif de Lecointre ne serait-il pas avant tout de « faire valoir ses options métaphysiques personnelles » ? Il n'y a pas de mal à cela. Mais autant le faire franchement et avec plus de rigueur.

Thomas Lepeltier, version intégrale d'une lettre envoyée à La Recherche,
publiée sous forme abrégée dans le n° 444, septembre 2010.