En septembre 2020, à l’issue des travaux de la Convention citoyenne
pour le climat, le président Emmanuel Macron déclara : « Je
ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de
l’écologie contemporaine ». Puis, il souligna que la
« France est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation[1] ».
Pourtant, son gouvernement se montre particulièrement hostile à une
innovation qui attire de très nombreux investissements à l’étranger et
qui promet de révolutionner le monde agricole, à savoir la viande de
culture, c’est-à-dire la viande obtenue par incubation à partir de
quelques cellules d’un animal sans qu’il soit nécessaire de le tuer.
Le Ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, a en effet déclaré
le 2 décembre 2020, dans un tweet : « Je le dis
clairement : la viande vient du vivant, pas des laboratoires.
Comptez sur moi pour qu’en France, la viande reste naturelle et jamais
artificielle ! ». Or cette innovation technologique apparaît
comme un atout formidable pour améliorer le bien-être animal et pour
lutter contre le réchauffement climatique. Sans parler du fait que cet
archaïsme du gouvernement français risque de coûter très cher à la
France en ne lui permettant pas de devenir elle-même un centre de
production de cette nouvelle viande. À une époque où on parle de plus
en plus d’autonomie alimentaire, cette attitude est même
particulièrement ironique[2].
Il
ne faut jamais oublier que la production de viande conventionnelle
demande d’abattre environ 70 milliards d’animaux terrestres
chaque année dans le monde (sans parler des poissons), représente
14 % des émissions de gaz à effet de serre (similaire à la
quantité attribuable aux transports) et occupe près de 80 % des
terres agricoles (entre les pâturages et les cultures nécessaires
pour nourrir les animaux de rente). Abandonner ce mode de production
permettrait donc de diminuer considérablement la souffrance de ces
animaux, élevés pour la plupart de manière industrielle et abattus
dans des conditions qui font frémir. Passer à la viande de culture
diminuerait aussi considérablement les émissions de gaz à effet de
serre dues à l’élevage. Certes, les nouvelles unités de production
nécessiteraient d’être alimentées en énergie. Mais celle-ci pourrait
être d’origine nucléaire, solaire, hydraulique ou éolienne,
c’est-à-dire des énergies très peu émettrices de gaz à effet de
serre. Qui plus est, l’arrêt de l’élevage pourrait permettre de
convertir un grand nombre de terres agricoles en forêts, qui sont de
très bons puits de carbone. Sachant que la consommation de viande
devrait augmenter dans les décennies à venir sous l’effet de la
croissance de la population et de l’évolution des pratiques
alimentaires, il y a donc une urgence à se tourner vers ces viandes
de substitution si on ne veut pas voir la forêt amazonienne être
remplacée par des champs de soja destiné à nourrir davantage
d’animaux d’élevage[3].
Bien sûr, tous les habitants de la Terre ne pourront pas avoir accès
dès demain à cette viande de culture. Mais les pays riches et
développés, comme la France, devraient au moins l’accueillir
favorablement[4].
Si le gouvernement français est donc critiquable pour son archaïsme en matière d’innovations technologiques, les mouvements écologistes ne sont pas en reste pour les mêmes raisons. Eux qui prétendent se soucier de la nature, ils auraient déjà dû comprendre depuis longtemps qu’en finir avec l’élevage est ce qu’il y a de plus efficace pour protéger notre environnement[5]. Certes, ils critiquent souvent l’élevage industriel, ou intensif, au profit de l’élevage extensif. Mais, à production égale, le second est pire que le premier dans la mesure où il accapare davantage de terres[6]. Afin d’avoir un impact positif sur l’environnement, la promotion de l’élevage extensif doit donc s’accompagner d’une demande de réduction massive de la consommation de produits d’origine animale. Or, comme on l’a mentionné, la consommation mondiale de viande ne tend pas à diminuer, au contraire. Dans ces conditions, l’élevage industriel continuera à fournir des produits d’origine animale à une population croissante, qui se montre toujours avide de ces produits. Seule une offre de produits de substitution pourrait inciter cette population à s’en détourner. En refusant de promouvoir la viande de culture, quand ce n’est pas en s’y opposant explicitement, les écologistes soutiennent donc implicitement l’élevage industriel. Ils en sont, si on peut dire, les idiots utiles. Leur démarche est d’autant plus contreproductive que la viande de culture est avant tout destinée à remplacer la viande industrielle. Le marché des burgers et des fast-foods sera de fait la première prise de guerre des entreprises de biotechnologie qui inventent cette viande sans souffrance, sans antibiotique, sans abattoir, sans destruction de forêts, etc. Rien ne dit qu’elle soit à même, un jour, de remplacer la viande provenant d’élevage où les animaux sont élevés dans de relativement bonnes conditions. Dès lors, si les écologistes étaient sincères dans leur combat contre l’élevage industriel, ils devraient soutenir la viande de culture. Mais, par peur de l’innovation technologique, ils encouragent le statu quo. Finalement, comme le gouvernement français, ils contribuent à maintenir la France dans une certaine forme d’archaïsme où, pour se nourrir, on continue à tuer des animaux et à saccager des forêts, alors que ce n’est plus nécessaire.
[1]
AFP, « Macron
défend
la 5G, ironisant sur le “modèle Amish” et le “retour à la
lampe à huile” », La Tribune,
15 septembre 2020.
[2]
Frédéric Cherbonnier, « Pourquoi
la
France risque de passer à côté de la viande “artificielle” »,
Les Échos, 7 avril 2021.
[3]
Romain Espinosa, « Peut-on
sauver
la forêt en continuant à manger de la viande ? »,
Libération, 1er septembre 2019.
[4]
Cnews, « Les
pays
riches ne devraient manger que de la viande de synthèse, selon
Bill Gates », Cnews, 21 février 2021.
[5]
Damian Carrington, « Avoiding
meat and dairy is “single biggest way” to reduce your impact
on Earth »,
The Guardian, 31 mai 2018.
[6] Andrew Balmford, « The environmental costs and benefits of high-yield farming », Nature Sustainability, 1, 2018.