L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Tribune publiée dans LExpress :
 
L’archaïsme français concernant la viande de culture

Alors que la viande de culture suscite plein d’espoir dans
le monde, autant le gouvernement que les écologistes
français restent attachés à une viande dont le mode de
production est polluant et source de souffrances
.

En septembre 2020, à l’issue des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, le président Emmanuel Macron déclara : « Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine ». Puis, il souligna que la « France est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation[1] ». Pourtant, son gouvernement se montre particulièrement hostile à une innovation qui attire de très nombreux investissements à l’étranger et qui promet de révolutionner le monde agricole, à savoir la viande de culture, c’est-à-dire la viande obtenue par incubation à partir de quelques cellules d’un animal sans qu’il soit nécessaire de le tuer. Le Ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, a en effet déclaré le 2 décembre 2020, dans un tweet : « Je le dis clairement : la viande vient du vivant, pas des laboratoires. Comptez sur moi pour qu’en France, la viande reste naturelle et jamais artificielle ! ». Or cette innovation technologique apparaît comme un atout formidable pour améliorer le bien-être animal et pour lutter contre le réchauffement climatique. Sans parler du fait que cet archaïsme du gouvernement français risque de coûter très cher à la France en ne lui permettant pas de devenir elle-même un centre de production de cette nouvelle viande. À une époque où on parle de plus en plus d’autonomie alimentaire, cette attitude est même particulièrement ironique[2].

Il ne faut jamais oublier que la production de viande conventionnelle demande d’abattre environ 70 milliards d’animaux terrestres chaque année dans le monde (sans parler des poissons), représente 14 % des émissions de gaz à effet de serre (similaire à la quantité attribuable aux transports) et occupe près de 80 % des terres agricoles (entre les pâturages et les cultures nécessaires pour nourrir les animaux de rente). Abandonner ce mode de production permettrait donc de diminuer considérablement la souffrance de ces animaux, élevés pour la plupart de manière industrielle et abattus dans des conditions qui font frémir. Passer à la viande de culture diminuerait aussi considérablement les émissions de gaz à effet de serre dues à l’élevage. Certes, les nouvelles unités de production nécessiteraient d’être alimentées en énergie. Mais celle-ci pourrait être d’origine nucléaire, solaire, hydraulique ou éolienne, c’est-à-dire des énergies très peu émettrices de gaz à effet de serre. Qui plus est, l’arrêt de l’élevage pourrait permettre de convertir un grand nombre de terres agricoles en forêts, qui sont de très bons puits de carbone. Sachant que la consommation de viande devrait augmenter dans les décennies à venir sous l’effet de la croissance de la population et de l’évolution des pratiques alimentaires, il y a donc une urgence à se tourner vers ces viandes de substitution si on ne veut pas voir la forêt amazonienne être remplacée par des champs de soja destiné à nourrir davantage d’animaux d’élevage[3]. Bien sûr, tous les habitants de la Terre ne pourront pas avoir accès dès demain à cette viande de culture. Mais les pays riches et développés, comme la France, devraient au moins l’accueillir favorablement[4].

Si le gouvernement français est donc critiquable pour son archaïsme en matière d’innovations technologiques, les mouvements écologistes ne sont pas en reste pour les mêmes raisons. Eux qui prétendent se soucier de la nature, ils auraient déjà dû comprendre depuis longtemps qu’en finir avec l’élevage est ce qu’il y a de plus efficace pour protéger notre environnement[5]. Certes, ils critiquent souvent l’élevage industriel, ou intensif, au profit de l’élevage extensif. Mais, à production égale, le second est pire que le premier dans la mesure où il accapare davantage de terres[6]. Afin d’avoir un impact positif sur l’environnement, la promotion de l’élevage extensif doit donc s’accompagner d’une demande de réduction massive de la consommation de produits d’origine animale. Or, comme on l’a mentionné, la consommation mondiale de viande ne tend pas à diminuer, au contraire. Dans ces conditions, l’élevage industriel continuera à fournir des produits d’origine animale à une population croissante, qui se montre toujours avide de ces produits. Seule une offre de produits de substitution pourrait inciter cette population à s’en détourner. En refusant de promouvoir la viande de culture, quand ce n’est pas en s’y opposant explicitement, les écologistes soutiennent donc implicitement l’élevage industriel. Ils en sont, si on peut dire, les idiots utiles. Leur démarche est d’autant plus contreproductive que la viande de culture est avant tout destinée à remplacer la viande industrielle. Le marché des burgers et des fast-foods sera de fait la première prise de guerre des entreprises de biotechnologie qui inventent cette viande sans souffrance, sans antibiotique, sans abattoir, sans destruction de forêts, etc. Rien ne dit qu’elle soit à même, un jour, de remplacer la viande provenant d’élevage où les animaux sont élevés dans de relativement bonnes conditions. Dès lors, si les écologistes étaient sincères dans leur combat contre l’élevage industriel, ils devraient soutenir la viande de culture. Mais, par peur de l’innovation technologique, ils encouragent le statu quo. Finalement, comme le gouvernement français, ils contribuent à maintenir la France dans une certaine forme d’archaïsme où, pour se nourrir, on continue à tuer des animaux et à saccager des forêts, alors que ce n’est plus nécessaire.

Thomas Lepeltier,
Texte d’une Tribune publiée dans une version
légèrement plus courte dans L’Express, le 1er juillet 2021.


[2] Frédéric Cherbonnier, « Pourquoi la France risque de passer à côté de la viande “artificielle” », Les Échos, 7 avril 2021.

[3] Romain Espinosa, « Peut-on sauver la forêt en continuant à manger de la viande ? », Libération, 1er septembre 2019.

[5] Damian Carrington, « Avoiding meat and dairy is “single biggest way” to reduce your impact on Earth », The Guardian, 31 mai 2018.

[6] Andrew Balmford, « The environmental costs and benefits of high-yield farming », Nature Sustainability, 1, 2018.