Débats sur l'ouvrage Un autre cosmos ?

À ce jour, deux comptes rendus négatifs du livre Un autre cosmos ? sont parus dans la presse. Comme les reproches qui lui sont adressés ne sont pas fondés, voici une petite mise au point :

[1] Dans le premier compte rendu, paru dans Ciel & Espace, le journaliste David Fossé commence par reconnaître un certain mérite à l'ouvrage : « L'un des grands intérêts de l'ouvrage est de questionner les hypothèses de base du modèle du big bang plutôt que de célébrer ses succès, comme c'est souvent le cas. » Mais, à la fin de son compte rendu, il ne cache pas ses critiques : « En revanche, nous ne suivons pas les auteurs lorsqu'ils opposent univers stationnaire à univers ‘créationniste' — au risque d'une grave confusion puisque l'apport essentiel de la cosmologie est justement d'avoir su penser un univers en évolution. Nous ne les suivons pas non plus quand ils suggèrent que les modèles alternatifs au big bang n'ont pas eu leur chance. Les modèles d'univers en expansion, dont les premières versions datent de 1922, ont mis plus de trente ans à être pris au sérieux ! Pendant plusieurs années, ils se sont ensuite développés aux côtés des modèles d'univers stationnaire, qui ont bel et bien eu voix au chapitre. La saine critique cède ici la place à des considérations mal justifiées qui affaiblissent le propos de l'ouvrage, par ailleurs instructif. »
      Ces critiques sont au mieux maladroites, au pire aberrantes. Pourquoi Fossé nous reproche-t-il d'opposer « univers stationnaire » et « univers ‘créationniste' » ? Ce sont deux modèles d'univers qui existent et qui sont incompatibles entre eux. Qu'y a-t-il de mal à souligner cette opposition ? Selon Fossé, mettre en avant cette opposition « risque [d'entraîner] une grave confusion puisque l'apport essentiel de la cosmologie est justement d'avoir su penser un univers en évolution ». Fossé a bien sûr raison de penser qu'une étape importante de l'histoire de la cosmologie est le moment où elle a su penser un univers en évolution. Mais en quoi mentionner l'existence de conceptions d'univers stationnaire entraînerait une confusion vis-à-vis de cette étape importante ? Qui plus est, rappelons que jamais il n'est dit dans l'ouvrage que ces conceptions d'univers stationnaire sont correctes. Nous disons simplement qu'elles existent, avec leurs défauts et qualités. L'ironie est que c'est Fossé lui-même qui génère une confusion en écrivant que les « modèles d'univers en expansion […] se sont […] développés aux côtés des modèles d'univers stationnaire » ! Comment peut-il oublier que les modèles d'univers dit stationnaire sont des modèles d'univers en expansion ? Ce ne sont pas des modèles d'univers statique (dans un univers stationnaire, les galaxies s'éloignent les unes des autres, mais pas dans un univers statique). À travers sa vision confuse de la cosmologie, ce doit donc être la simple évocation de l'existence de conceptions d'univers stationnaire (ou statique) qui gêne Fossé ! Ce qui est étonnant de sa part puisqu'il vient juste d'affirmer que l'un « des grands intérêts de l'ouvrage est de questionner les hypothèses de base du modèle du big bang ». Or comment entreprendre un tel questionnement sans mentionner l'existence de modèles alternatifs ?
      Enfin, Fossé nous reproche de suggérer que « les modèles alternatifs au big bang n'ont pas eu leur chance ». Il est vrai que nous le suggérons. Nous ne l'affirmons pas ; ce n'est qu'une suggestion. Le livre d'ailleurs contient très peu d'affirmations. Il suggère, il questionne, il interroge. Or, selon Fossé, ce serait une faute de suggérer qu'il pourrait être intéressant d'étudier à nouveau des modèles alternatifs à celui du big bang. Ce reproche est totalement incompréhensible de la part de quelqu'un qui vient d'affirmer que l'un « des grands intérêts de l'ouvrage est de questionner les hypothèses de base du modèle du big bang ». Là encore, comment questionner ces hypothèses de base sans s'intéresser aux hypothèses alternatives ?
      Au final, en dépit de ce qu'il écrit, Fossé donne l'impression d'être complètement fermé à l'idée de questionner les hypothèses de base du big bang. Du coup, il est gêné par le fait que nous entreprenons ce questionnement. Mais comme il ne veut pas s'avouer qu'il est fermé à ce type de questionnement — qui l'oserait ? — , il s'enferme dans des contradictions. Et ce n'est pas en affirmant que notre « saine critique cède […] la place à des considérations mal justifiées », sans pour sa part apporter la moindre justification à cette critique, qu'il arrive à s'extirper de ses contradictions.

[2] Le deuxième compte rendu critique de notre livre [ici] est paru dans le magazine La Recherche (sept. 2012). Alain Riazuelo et Jean-Philippe Uzan, cosmologistes de profession, nous accusent — c'est Jean-Marc Bonnet-Bidaud et moi qui sommes visés, pas les autres contributeurs de l'ouvrage — d'être incompétents, de commettre de nombreuses erreurs et de faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. Malheureusement, ils ne donnent jamais la moindre justification à ces accusations. Qui plus est, le seul moment où ils parlent du contenu de notre livre, ils commettent deux graves erreurs. Ils écrivent en effet que, selon nous, « l'univers ne serait pas en expansion, mais statique » et que nous soutenons « contre toute raison la nature locale du fond diffus cosmologique ». Comme souvent, la hargne rend aveugle. Nous avons donc envoyé un courrier à La Recherche pour calmer le jeu :

     À la lecture de la critique du livre que nous avons dirigé Un autre cosmos ? (Vuibert, 2012) (La Recherche, n° 467, p. 105), il nous semble que son contenu et ses objectifs n'ont pas été correctement appréciés. Ce livre, qui regroupe les contributions de six astrophysiciens, présente une réflexion critique sur les hypothèses de la cosmologie actuelle. Contrairement à ce qui est rapporté dans cet article, en aucun endroit de l'ouvrage il n'est affirmé que l'univers est statique et que le rayonnement diffus à 3 K est local. À travers une approche nourrie de philosophie des sciences, ce livre analyse en effet différentes interprétations des données observationnelles pour susciter une réflexion sur la part d'indétermination de la cosmologie moderne. Aucun modèle cosmologique n'est donc privilégié, ce qui explique le point d'interrogation du titre de l'ouvrage (oublié de façon symptomatique par deux fois dans ce compte-rendu !). Ce genre d'interrogation étant à la base même de la pratique scientifique, il est choquant de voir ce compte rendu paraître dans la rubrique « Touche pas à ma science ». Les lecteurs du livre le vérifieront aisément par eux-mêmes.
     Thomas Lepeltier & Jean-Marc Bonnet-Bidaud, lettre publiée sous une forme abrégée dans La Recherche, n° 469, novembre 2012.

      Avec ce courrier, nous pensions avoir clarifié la situation et incité ces détracteurs à situer le débat — s'ils voulaient le poursuivre — sur des bases plus saines. Malheureusement, ils ont décidé de persévérer dans leur dénigrement. Dans leur réponse à notre réponse [ici] (La Recherche, n° 469, novembre 2012), ils n'ont donc rien lâché, quitte à s'enfoncer.
      Pour justifier leur accusation que selon nous l'univers est statique, ils écrivent ainsi que si ce n'était pas ce que nous affirmons il serait « difficile alors de comprendre le chapitre II de Jayant Narlikar sur un univers statique » ! En somme, incapable de trouver dans ce que nous avons écrit la moindre affirmation que l'univers est statique, alors qu'ils nous accusaient de l'affirmer, ils croient pouvoir s'en tirer en mentionnant le chapitre de Narlikar. Malheureusement pour eux, ce procédé tombe à l'eau pour deux raisons. D'abord, le livre ayant pour objectif de présenter des modèles alternatifs au modèle standard du big bang, il n'est pas surprenant qu'un des chapitres soit consacré à présenter un modèle cosmologique d'univers statique. Mais, pour toute personne un peu sensée, cela ne veut bien sûr pas dire que nous pensons, en tant que coordinateurs de l'ouvrage, que l'univers est statique. Ensuite, si ces détracteurs avaient fait un minimum de recherche, ils auraient compris que Narlikar n'est pas un défenseur d'un modèle d'univers statique, même s'il trouve qu'un tel modèle peut avoir des mérites (ce qui explique pourquoi il a accepté d'écrire ce chapitre). De fait, il a été historiquement un défenseur d'un modèle d'univers stationnaire, avant de devenir un défenseur d'un modèle d'univers quasi-stationnaire. Or un univers stationnaire ou quasi-stationnaire n'est pas statique, mais en expansion. Cette distinction entre stationnaire et statique est le b.-a.-ba de la cosmologie.
      La deuxième affirmation fausse de ces deux détracteurs est que nous soutenons « contre toute raison la nature locale du fond diffus cosmologique ». Là encore, dans leur réponse à notre réponse, ils s'enfoncent davantage. Où trouver que nous soutenons la nature locale du fond diffus ? Nulle part, bien sûr, puisque nous ne sommes pas dans le registre de l'affirmation. Que font donc ces deux détracteurs ? Ils mettent en avant, en désespoir de cause, comme une prétendue preuve de ce qu'ils avancent, une citation de Jean-Marc Bonnet-Bidaud où celui-ci écrit que la température de l'espace « peut aussi s'interpréter […] comme une température du milieu interstellaire ». Vous avez bien lu « peut aussi s'interpréter ». Jamais Bonnet-Bidaud ne soutient que le fond diffus est de nature locale. Il se contente de mentionner l'existence d'interprétations selon lesquelles le fond diffus serait local. Ce qui n'est en rien une affirmation. Mais, pour ces détracteurs, le simple fait de mentionner l'existence d'une interprétation doit signifier que l'on soutient cette interprétation. Belle perspicacité !
      Tout à leur entreprise de dénigrement, ils vont profiter du reste des lignes qui leur sont accordées par La Recherche pour cette réponse à notre réponse pour accuser maintenant notre ouvrage de « mettre des divagations obsolètes sur le même plan que des développements sérieux » et de contenir « une longue liste d'affirmations erronées ». Le vague et l'agressivité de ces accusations en dit plus sur leur état d'esprit que sur les caractéristiques de l'ouvrage. Si ces deux détracteurs lisent de travers notre livre et, à la place d'une critique argumentée, préfèrent proférer des insultes, c'est probablement parce que, avant d'être gênés par d'éventuels défauts de cet ouvrage collectif, ils ne supportent pas que deux chercheurs extérieurs à la communauté des cosmologistes aient osé porter un regard critique sur leur science. Que leur compte rendu soit paru dans la rubrique « Touche pas à ma science » de La Recherche en est d'ailleurs symptomatique. Cette attitude ne grandit ni ce magazine ni ces deux chercheurs.

Thomas Lepeltier (novembre 2012)
 

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