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Compte rendu du livre :

Comment le voile est devenu musulman,

de Bruno Nassim Aboudrar,

Flammarion, 2014.
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       De nos jours, dans les rues des villes européennes, le voile musulman se donne à voir. Or, selon les traditions des pays musulmans, le voile doit plutôt servir à passer inaperçue : se couvrir avec un voile est en effet un geste d’effacement ou de discrétion, requis quand une femme doit traverser un espace public, mais nullement un ornement avec lequel elle s’exhibe. En se promenant voilées, à la vue de tous, les musulmanes d’Occident font justement l’inverse : elles s’affichent, elles s’offrent au regard des autres et font d’elles des images, voire des icones de l’islam, au nom d’une religion qui rejette les images et abomine l’ostentation, celle des femmes tout particulièrement. Du coup, selon Bruno Nassim Aboudrar, professeur d’esthétique à l’université Paris-III, pour respecter la logique des traditions dont elles se réclament, les femmes musulmanes feraient peut-être mieux de ne pas se voiler dans ces rues où le voile n’est pas la norme !
       B. N. Aboudrar est parti de ce paradoxe pour écrire une histoire du voile et du regard sur la femme voilée. Le premier constat est que le voile est d’abord un attribut de la femme chrétienne. C’est Saint Paul qui fait un impératif religieux de ce port du voile qui n’est qu’une coutume inégalement répandue dans le monde antique. Toute une tradition patristique reprend ensuite cette prescription de l’Apôtre, principalement pour signifier la soumission des femmes aux hommes. En comparaison avec cette littérature chrétienne, le Coran en dit peu sur le sujet. Tout juste conseille-t-il à certaines femmes de porter le voile pour signaler leur rang social. En ce sens, le voile n’est pas spécifiquement musulman. Il est quand même utilisé en terre musulmane comme signe de subordination des femmes, avant de devenir un enjeu symbolique dans les événements liés à la colonisation et décolonisation, puis dans les revendications d’indépendances culturelles par rapport à un Occident perçu comme hégémonique. Ce qui explique que, de nos jours, au-delà de la question de la laïcité, il est autant un symbole de liberté que de sujétion…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 263, octobre 2014.

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