Compte rendu du livre :
Contes de la Lune.
Essai sur la fiction et la science modernes,de Frédérique Aït-Touati,
Gallimard, 2011.On a l'habitude d'opposer science et fiction. La première serait le lieu de la froide raison, la seconde de la fantaisie. On imagine donc que la science moderne n'a pu naître que du rejet ou de la mise à distance de la création littéraire. C'est pourtant l'inverse qui s'est produit, comme nous le raconte Frédérique Aït-Touati dans ce petit livre, tiré d'une thèse, et néanmoins très clair. Non seulement des œuvres de fiction se sont fait l'écho, dès le XVIIe siècle, de la révolution copernicienne en cours, mais elles auraient aussi renforcé la crédibilité de la nouvelle vision du cosmos qui en émanait. La fantaisie littéraire a ainsi fait œuvre de science !
Si ce mariage de la science et de la fiction a si bien fonctionné au XVIIe siècle, c'est que le nouveau cosmos apparaissait très conjectural pour beaucoup. La vision directe ne suffisant pas pour convaincre, il fallait trouver un moyen de mettre en scène l'observation du ciel. Pour gagner cette bataille de l'opinion, les savants de l'époque se sont mis à imaginer des récits et des fictions. Cette stratégie leur a permis de dépasser les limitations de l'observation et de décrire le nouveau cosmos dont ils faisaient la promotion. Si Kepler, par exemple, est l'auteur de poèmes astronomiques et de fictions lunaires, ce n'est pas pour distraire des lecteurs. Chez lui, la fiction d'un voyage lunaire « montre à voir » de la même façon qu'un télescope le ferait et permet de se déplacer mentalement sur la Lune. Kepler attaque ainsi le fondement de la physique aristotélicienne, à savoir la différence entre, d'un côté, le monde sublunaire et corruptible de la Terre, et, de l'autre côté, le monde supralunaire et incorruptible de la Lune. La fiction lunaire permet aussi de s'imaginer percevoir le mouvement de rotation de la Terre. Tout au long du XVIIe siècle, la littérature va ainsi servir à montrer ce qu'on ne peut pas démontrer : la fausseté du géocentrisme.
En analysant l'alliance de la science et de la fiction aux origines de la science moderne, ce livre a un double mérite. D'abord, il rappelle cette part méconnue de l'histoire des sciences et de la littérature. Ensuite, à travers son analyse de la façon dont la fiction a pu fonctionner comme œuvre scientifique, il soulève implicitement la question de l'éventuelle dimension fictionnelle de la science. Une théorie scientifique gagne-t-elle en crédibilité au fur et à mesure que l'histoire qu'elle raconte devient plus captivante ? À méditer…Thomas Lepeltier, Pour la science, 404, juin 2011.
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