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Compte rendu du livre :

The Ego Trick.
What does it mean to be you ?,

de Julian Baggini,

Granta Books, 2011.
fressoz

      « Je pense, donc je suis », écrivait René Descartes. Le simple fait de penser prouverait qu'un « je » existe. Est-ce crédible ? Fermez les yeux, concentrez-vous sur vos pensées, émotions et sensations ; et essayez d'observer ce « je » qui en serait le responsable ou qui en ferait l'expérience. Ce n'est pas facile. Depuis longtemps, des philosophes et des penseurs en tout genre, du Bouddha aux neurologues d'aujourd'hui en passant par David Hume, ont bien essayé de découvrir ce qui ferait l'unité de nos expériences. En vain. Il y a des pensées, des émotions, des sentiments, mais aucune entité qui perdurerait à travers le temps et à qui l'on pourrait les attribuer. Que représente donc ce « je » insaisissable ?
      Dans ce petit essai alerte et clair, le philosophe Julian Baggini tente de répondre à cette question en discutant de psychologie, de neurologie, d'identité sexuelle, d'accidents cérébraux, de démence, des personnalités multiples, de l'idée d'âme, de l'hypothèse de la vie après la mort, etc. Toutes ses analyses le conduisent à la conclusion qu'il n'y a pas un organe ou une partie de nous qui serait essentiellement notre moi. Notre cerveau joue bien sûr un rôle fondamental, mais nulle part il n'est possible d'y déceler le moindre siège de l'identité personnelle ou de la conscience. Impossible aussi de concevoir sérieusement une âme qui serait distincte du corps.
      Cela veut-il dire que le « je » est finalement une illusion ? Pas forcément, estime Baggini. Il rappelle en effet que l'impossibilité d'attraper les arcs-en-ciel ne prouve pas que ces derniers n'existent pas. Leur caractère insaisissable traduit simplement le fait qu'ils ne sont pas des objets situées dans l'espace. Il en serait de même pour l'identité personnelle. Il y aurait bien un « je », mais aucun centre de commande de notre être, ni aucune chose en nous qui ferait que nous soyons ce que nous sommes. C'est là que réside le tour de passe-passe (« the trick ») de l'ego : c'est cette capacité qu'aurait le cerveau de générer une impression d'unité et de continuité à partir de processus cérébraux disparates et discontinus ; capacité qui serait d'ailleurs mise à mal sous l'emprise de certaines drogues, dans certains troubles de la personnalité et dans certaines pathologies mentales.
      Chercher à localiser l'identité personnelle dans le cerveau reviendrait donc à commettre une erreur de catégorie. Notre « je » ne consisterait pas en un substrat cérébral, stable et continu, mais serait ce que font notre cerveau et notre corps, puisque le premier ne fait pas grand chose sans le second. Or la prise en compte de ce caractère dynamique de l'identité personnelle n'est pas sans conséquence.
      Si notre moi s'apparente à une modalité d'action, l'identité personnelle doit être plus malléable que s'il correspond à une substance ou à une structure cérébrale. Il n'y aurait donc aucune raison de considérer que le « je » d'aujourd'hui est le même que celui d'il y a 20 ans et que celui qui sera, ou plutôt qui agira dans 20 ans. Ce n'est pas tout. Dans cette conception, le moi n'est plus conçu comme enfermé dans la boîte crânienne, mais comme une action ou un processus. Rien ne l'empêche donc d'intégrer une partie du monde environnant dans son mode opératoire. En particulier, Baggini suggère qu'un livre, un ordinateur ou un iPhone pourrait faire partie de notre moi, au sens où ces objets peuvent constituer une source d'information venant compléter notre mémoire. On peut bien sûr les perdre, mais la mémoire cérébrale peut aussi nous jouer des tours. Bref, voilà une petite introduction roborative à l'énigme de l'identité personnelle.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 239, juillet 2012.

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Autres livres à signaler :

— Bruce Hood, Self Illusion. Why There Is No « You » Inside Your Head, 2012.

— Sebastian Seung, Connectome. How the Brain's Wiring Makes Us Who We Are, 2012.

— Christof Koch, Consciousness. Confessions of a Romantic Reductionist, 2012.