L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
balcombe-what-fish-knows
Compte rendu du livre :
 
What a Fish Knows.
The Inner Lives of Our Underwater Cousins,
de Jonathan Balcombe,
Scientific American / Farrar, Straus and Giroux, 2016.

La scène se passe aux Bahamas, dans un grand aquarium où a été installé un immense miroir. Une raie géante tourne sur elle-même en face du miroir, y revient de façon répétée et expose certaines parties de son corps. Comme à aucun moment elle n’essaye d’interagir avec son image, il ne semble pas qu’elle la prenne pour une autre raie. Tout laisse penser qu’elle est simplement en train de s’observer. La raie aurait donc réussi le test du miroir qui indique une conscience de soi. Dans ce livre, Jonathan Balcombe, éthologiste à l’Humane Society Institute (Washington), revient sur ce genre d’observations qui montrent qu’un grand nombre de poissons ne sont pas, comme on l’a longtemps pensé, des animaux soumis à leurs instincts, sans mémoire et incapables de ressentir des émotions. Au contraire, pour Balcombe, ils sont « non seulement sensibles, mais également conscients d’eux-mêmes, communicatifs, sociables, capables d’utiliser des outils, vertueux et même machiavéliques ».

Par exemple, le labre à nageoires jaunes peut découvrir des palourdes en projetant de l’eau sur le sable sous lequel elles sont enfouies, puis les transporter dans sa bouche jusqu’à un rocher où il les fracasse par une série de coups. Il y a donc à la fois utilisation d’un outil et planification d’une série d’actions. De même, de nombreux poissons peuvent coopérer pour chasser : ils communiquent entre eux pour définir un objectif, transmettent des informations sur une proie et organisent une stratégie pour l’attraper. La coopération se manifeste aussi chez les poissons nettoyeurs qui mangent les parasites infestant d’autres poissons. Certains faisant un meilleur travail que d’autres, ils sont davantage courtisés par les poissons qui veulent se faire nettoyer. Quant à la capacité des poissons à éprouver du plaisir, elle ne fait plus de doute depuis que l’on a observé nombre d’entre eux venir dans les bras de plongeurs pour se faire caresser. À voir comment un poisson peut rester auprès d’un de ses semblables qui est mal en point indique aussi qu’ils peuvent créer de forts liens d’affection entre eux. Sans être toujours aussi fidèles, beaucoup de poissons peuvent se reconnaître entre eux grâce aux traits de leur visage et développer des liens d’amitiés. Enfin, la façon dont le poisson-globe est capable de fabriquer des mandalas en sable sur les fonds marins afin de séduire une femelle soulève également la question de leur sens artistique.

Toutes ces informations ne font pas que remettre en cause la vision classique que l’on avait des poissons. Elles posent aussi des questions éthiques. Comment peut-on, se demande Balcombe, continuer à massacrer en si grand nombre ces êtres intelligents et sensibles ? Pour sa part, il a décidé d’arrêter de les manger*…

Thomas Lepeltier,
La Recherche, 516, octobre 2016.


* Conclusion légèrement différente de la version publiée.


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