Compte rendu du livre :
Unnatural.
The Heretical Idea of Making People,de Philip Ball,
The Bodley Head, 2011.Les cellules souches, le clonage, la biologie synthétique font régulièrement l'actualité. Quand ces techniques sont développées pour bricoler des formes élémentaires de vie, la réception est déjà mitigée. Mais quand la création d'êtres humains apparaît comme une possible finalité de ces recherches, la presse, l'opinion publique et les décideurs en tout genre font part de leur indignation. Un sentiment d'horreur s'exprime. La figure de Frankenstein est alors systématiquement invoquée afin de conjurer cette possibilité que des scientifiques fous, jouant à Dieu, en viennent à créer des monstres qui risqueraient de leur échapper.
Dans ce livre, l'essayiste Philip Ball retrace, des anciennes légendes aux discours sur les techniques médicales les plus modernes, l'histoire de cette fascination — et de cette peur — envers la création d'humains artificiels. L'idée que la nature est bonne et la technique mauvaise se retrouve dans plusieurs mythes, dont celui de Prométhée. Elle apparaît également dans les spéculations sur les homoncules — ces êtres humains miniatures que les alchimistes cherchaient à créer —, ou encore dans la légende juive du Golem. Enfin, cette idée est présente dans de multiples romans, dont Le Meilleur des mondes (1932) d'Aldous Huxley.
Dans ces histoires qui finissent mal, le message est toujours le même : l'hybris technologique outrepasse l'ordre existant, qu'il soit divin ou « naturel ». Or, selon P. Ball, toutes ces légendes, mythes et fictions modernes nourrissent encore notre imaginaire et nos appréhensions concernant toutes les interventions techniques liées à la procréation d'êtres humains. Ces dernières risquent, dit-on, de servir à de sordides ingénieries sociales, à une éradication des hommes (ou des femmes, selon le cas), à une résurrection d'êtres indésirables, etc. On disait autrefois que ces êtres créés n'auraient pas d'âme. On avance de nos jours qu'on touche à leur dignité ou humanité ! On l'a dit à propos des « bébés éprouvettes ». On le répète maintenant à propos des enfants clonés. Cette peur est telle que le Parlement français a récemment qualifié le clonage humain de « crime contre l'humanité » ! Le crime est ici de faire des enfants d'une manière qui ne serait pas « naturelle » !
Décréter qu'un acte est contre nature (« unnatural ») n'est jamais un simple constat. Selon P. Ball, c'est toujours un jugement moral. C'est affirmer, par exemple, que cet acte viole l'ordre voulu par Dieu, supposé être foncièrement bon. Quand le Vatican persiste à réprouver la fécondation in vitro, malgré l'absence de problème signalé suite à la naissance de plus de 4 millions de bébés éprouvettes, il le fait bien sûr au nom de cet ordre divin. Mais diaboliser les utérus artificiels ou le clonage au nom de la dignité humaine, ce serait également, selon P. Ball, faire référence à une sorte de théologie sécularisée où Dieu a été remplacé par un « ordre naturel » censé lui aussi être bon.
L'ouvrage de P. Ball ne conclut pas qu'il n'y a aucune crainte à avoir à propos de toutes ces techniques. Mais plutôt que de se crisper sur leur supposé caractère contre nature, il lui paraît plus intelligent de s'interroger sur leurs usages. Tout l'intérêt de ce livre est donc, non seulement de nous permettre de revisiter tous les discours, mythes et légendes concernant la fabrication d'êtres humains, mais également de nous inciter à nous dégager de leur influence pour amorcer des débats constructifs sur ces éventuelles techniques du futur.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 232, décembre 2011.
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