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Compte rendu du livre :

L'Individu au Moyen-Âge.
Individuation et individualisation avant la modernité,

de Brigitte Miriam Bedos-Rezak et Dominique Iogna-Prat (eds),

Aubier, 2005.

      Dans son célèbre essai sur la Renaissance en Italie (1860), l'historien Jacob Burckhardt prétendait que « l'homme [du Moyen Âge] ne se connaissait que comme race, peuple, parti, corporation, famille, ou sous toute autre forme générale et collective ». Autant dire qu'il n'y avait, au Moyen Âge, point d'individu au sens moderne du terme. Fidèles à cette image d'un Moyen Âge faisant peser comme une chape de plomb sur toute expression d'une quelconque individualité, nombre d'historiens — dont la plupart des contributeurs à cet ouvrage érudit — considèrent que ce n'est qu'avec la Renaissance, vers le XVe et XVIe siècles, voire un peu avant, que l'on assiste véritablement à l'avènement du sujet autonome.
      Tout le pari de ce livre stimulant est toutefois d'analyser les marqueurs de l'identité personnelle (par exemple, la signature ou le portrait) et les modes de l'individualisation (par exemple, le « je » des poètes) à cette époque censée être dénuée d'individualisme. Des différentes contributions, il ressort que les contraintes stylistiques qui président à l'élaboration des sceaux, des armoiries ou des signatures sont tellement fortes qu'elles ne laissent guère l'occasion à l'individu de s'affirmer. Même l'apparition des noms, ou surnoms, dès le XIe siècle, ne permettrait pas vraiment de distinguer l'individu de son appartenance à un lieu d'origine, un clan, ou un métier. Quant au style des œuvres littéraires, il serait tendu vers l'imitation de formes préexistantes et non vers l'invention, caractéristique de l'affirmation d'un « moi ». Etc.
      Cela est-il suffisant pour considérer qu'au Moyen Âge l'individu est incapable de se démarquer du groupe qui le définit ? C'est ce qui est ici globalement affirmé, à une exception près. Il est rappelé que le déviant ou l'hérétique voyait son nom distingué ; ce qui implique que « si les croyances orthodoxes sont collectives, l'erreur ne saurait être qu'individuelle ». Du coup, on en vient à se s'interroger sur l'existence de petites déviances inaperçues des historiens et à se demander si l'image d'un Moyen Âge sans individualisme ne serait pas le résultat d'un effet de perspective.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 162, juillet 2005.

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