L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Debating Procreation.
Is It Wrong to Reproduce ?,
de David Benatar & David Wasserman,
Oxford University Press, 2015.

Est-il immoral d’avoir des enfants ? Face à la raréfaction des ressources terrestres, certains pensent que la population humaine ne peut pas continuer à augmenter. Il serait donc temps de stopper sa croissance. Mais d’autres penseurs vont plus loin. Ils estiment qu’il ne faut jamais faire d’enfant, quelles que soient les circonstances. Inutile de dire que cette thèse radicalement antinataliste est déconcertante. N’est-il pas naturel de se reproduire ? Pour autant, le fait qu’un comportement est naturel n’implique pas que sa pérennisation soit souhaitable. En l’occurrence, si toute vie humaine est, au bout du compte, un drame qui finit mal, n’est-on pas en droit de se demander s’il n’aurait pas mieux valu ne pas naître ? S’interroger sur la moralité de la procréation ne serait donc pas nécessairement absurde. En tout cas, pour exposer les tenants et aboutissants de ce débat, voici un livre qui donne la parole à un antinataliste puis à un contradicteur.

Avant de défendre l’antinatalisme, le philosophe David Benatar précise que cette thèse ne prône pas une interdiction de la procréation, mais invite simplement les êtres humains à s’abstenir de se reproduire, de peur que l’interdiction pose de nouveaux problèmes. Cette mise au point effectuée, Benatar défend cette thèse avec trois grands arguments. Le premier consiste à dire que mettre au monde un être qui va souffrir est toujours un mal, même si cet être éprouve aussi du plaisir dans sa vie. Bénatar justifie cette asymétrie axiologique entre le plaisir et la souffrance de plusieurs manières. Par exemple, il remarque que l’on peut se reprocher d’avoir mis au monde un enfant qui est amené à souffrir, mais non de s’être abstenu d’en faire naître un qui aurait pu être heureux. Ce qui indiquerait bien qu’il vaut mieux s’abstenir de procréer. Le deuxième grand argument consiste à contester que la vie, en général, mérite d’être vécue. Certaines personnes aux tendances suicidaires seraient bien sûr d’accord. Mais, selon Benatar, cette absence de valeur de la vie concerne presque tout le monde. On ne s’en rendrait pas compte parce que l’on confondrait l’attachement que l’on a envers sa propre vie et la valeur qu’on lui attribue. Ainsi, une personne très malheureuse peut s’abstenir de mettre fin à ses jours uniquement parce qu’elle a peur de la mort et qu’elle garde l’espoir d’une amélioration de sa situation. Or, entre les frustrations, les blessures, les maladies, les accidents, les déprimes et les handicaps, la plupart de nos vies seraient objectivement assez misérables. Certes, il y a sans doute des vies qui méritent d’être vécues. Mais les chances de pouvoir en bénéficier n’étant pas grandes, Benatar estime que l’on ne devrait pas faire courir un tel risque à sa progéniture. Enfin, son dernier grand argument stipule qu’il n’est pas moral de mettre au monde des êtres humains qui exploitent cruellement tant d’animaux et ravagent la planète. La fin délibérée de l’humanité contribuerait donc à supprimer une grande quantité de souffrance de la surface de la Terre.

Ce raisonnement est-il acceptable ? Non, estime David Wasserman qui rejette, point par point, cette vision pessimiste de l’existence et soutient que le bien-être que nous en retirons peut compenser toutes ses petites misères. Il en déduit que ces vies où finalement le bien-être l’emporte méritaient d’être commencées. Mais est-ce une déduction légitime ? Là est toute la question. En tout cas, avec ces deux contributions, cet ouvrage a le mérite de bien poser les termes de cet intriguant débat.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 279, mars 2016.


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Autres livres à signaler :

— Christine Overall, Why Have Children ? The Ethical Debate, MIT Press, 2013.

— Sarah Hannan, Samantha Brennan et Richard Vernon (ed), Permissible Progeny ? The Morality of Procreation and Parenting, Oxford University Press, 2015.

— David Archard et David Benatar (ed), Procreation and Parenthood. The Ethics of Bearing and Rearing Children, Oxford University Press, 2015.

— Rivka Weinberg, The Risk of a Lifetime. How, When, and Why Procreation May Be Permissible, Oxford University Press, 2015.