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Compte rendu du livre :

Faut-il avoir peur de la chimie ?

de Bernadette Bensaude-Vincent,

Les Empêcheurs de penser en rond, 2005.

      La chimie fait peur. Perçue en termes de pollution ou de toxicité, elle est régulièrement accusée d'être une menace pour l'ordre naturel. Contre cette image négative, les professionnels de la discipline ont depuis longtemps dénoncé en vain l'association entre nature et pureté qui n'a aucun sens puisqu'il faut beaucoup de chimie pour atteindre un état de « pureté ». Quant à chercher à redorer le blason de cette discipline à coup de publicités en valorisant une chimie « propre » ou « verte », cela risque, selon Bernadette Bensaude-Vincent, professeur d'histoire et de philosophie des sciences à l'Université Paris-X, d'être insuffisant pour convertir aux vertus de la chimie un public dont la conscience écologique a émergé en grande partie suite aux dégâts causés par l'industrie chimique. Plus radicalement, la transformation de l'image de la chimie passe, selon notre auteure, par une prise de conscience de son rôle potentiellement éducatif, au sens où elle pourrait aider à repenser les rapports de l'homme à la nature.
      Parcourant dans ce livre l'histoire et la philosophie de la chimie, Bensaude-Vincent essaye ainsi de montrer que cette dernière aide à se défaire de l'épistémologie de la représentation — rendant caduque le partage philosophique entre positivisme et réalisme —, et valorise une épistémologie de l'intervention. Concrètement, cela permettrait de passer du modèle de l' homo faber, lequel contrôle, domine et corrige une nature qui lui est extérieure, avec tous les dégâts que l'on connaît, au modèle de l' homo laborans « qui se signale par le respect plus que par la soumission de la nature, par l'imitation plus que par la transgression ». Ainsi le chimiste ne serait pas celui qui transgresse la nature pour mieux l'asservir, mais celui qui « négocie » avec les substances chimiques en s'inspirant des processus naturels. Changement radical de perspective qui ouvrirait les voies de la réconciliation et qui fait dire à Bensaude-Vincent que la philosophie des sciences, après s'être longtemps modelée sur la physique, aurait désormais beaucoup à gagner à s'inspirer de la chimie.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 161, juin 2005.

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