L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Do States Have the Right
to Exclude Immigrants ?

de Christopher Bertram,
Polity Press, 2018.

De nos jours, les États prétendent avoir le droit d’interdire l’entrée de leur territoire à des étrangers et, le cas échéant, de les déporter. Ils doivent bien sûr respecter, s’ils les ont signés, quelques traités internationaux sur les réfugiés et les droits de l’homme. Mais, en dehors de ces contraintes, ce droit d’interdire l’entrée à des étrangers ou de les expulser est perçu comme découlant naturellement de leur souveraineté. Or, s’il y a beaucoup de débats sur les modalités d’application de ce droit, sa prétendue légitimité est plus rarement discutée, comme le fait ici le philosophe Christopher Bertram.

Comment définir un système migratoire juste ? Une approche impartiale consiste à se demander quelles seraient les lois relatives à l’immigration que tout un chacun approuverait s’il ignorait à la fois sa nationalité et sa situation économique. Ce recours au concept du « voile d’ignorance » permet d’éviter que des personnes optent pour un système qui les avantage au détriment de celles qui n’ont pas eu la chance d’être aussi bien nées. Les lois sur l’immigration doivent ainsi être acceptables par tous, migrants ou non. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas imposer des limites à la mobilité. Mais ces dernières doivent reposer sur des principes approuvés par tous.

Cette idée d’un système où les migrants ne sont pas structurellement lésés rencontre toutefois une forte opposition dans nos sociétés. En particulier, ses adversaires objectent qu’une immigration trop nombreuse menace l’identité culturelle de leur pays, remet en cause sa capacité à décider lui-même de ses orientations ou encore fait peser un poids très lourd sur ses services sociaux (écoles, hôpitaux, etc.). Face à ces craintes, l’auteur reconnaît qu’il peut être légitime de vouloir maintenir les spécificités culturelles d’un pays, mais rétorque que cet attachement à son patrimoine n’autorise pas à faire appel à la force publique pour le préserver. Par exemple, déplorer que ses voisins de palier s’entichent de reggae plutôt que de chansons françaises ne justifier pas de demander leur expulsion. Il y a ensuite l’argument de l’autonomie selon lequel tout collectif, ici les citoyens d’un pays, doit avoir le droit de choisir les caractéristiques de ceux qui le rejoignent. Oui, dans une certaine mesure, mais ce droit ne saurait reposer sur un critère d’exclusion arbitraire, comme l’est par exemple la couleur de la peau ou le fait d’être né quelque part. Enfin, devant la peur que l’immigration plombe les finances publiques, l’auteur avance qu’il revient à l’État de gérer équitablement ces nouvelles dépenses, comme il le ferait pour n’importe quelle autre augmentation de ses coûts de fonctionnement (par exemple, suite à une augmentation des naissances). En ce sens, c’est plus un problème de redistribution des richesses que d’immigration. Cela dit, l’auteur reconnaît que, dans des situations exceptionnelles, un État peut légitimement restreindre l’accès à son territoire. Mais, pour éviter les abus de pouvoir, ce serait sous réserve d’une dérogation temporaire auprès d’une instance internationale conçue à cet effet.

Bien sûr, nous sommes loin de vivre dans un monde régi par de tels principes de justice. Aussi l’auteur avance-t-il que protester contre les politiques migratoires actuelles et, dans certaines circonstances, désobéir pour venir en aide aux migrants sont des démarches légitimes. Reste à savoir si ce genre d’approche rationnelle trouvera une place dans les débats actuels sur l’immigration…

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 309, décembre 2018.


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Autres livres à signaler :

— Jacqueline Bhabha, Can We Solve the Migration Crisis ?, Polity Press, 2018.

—  Sarah Fine et Lea Ypi (eds), Migration in Political Theory. The Ethics of Movement and Membership, Oxford University Press, 2016.