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Compte rendu du livre :

Aux Origines de l'histoire des religions,

de Philippe Borgeaud,

Seuil (La librairie du XXIe siècle), 2004.

      Disons-le tout net : il n'existe pas de définition satisfaisante de la religion. Les spécialistes en ce domaine n'ont tout simplement pas réussi à se mettre d'accord sur le type de croyance ou de rite qui serait caractéristique de ce que l'on désigne par ce terme. Il ne faut en effet pas oublier qu'il y a, par exemple, des religions sans dieux ; ou encore, que le culte des idoles est loin d'appartenir au seul monde religieux. Face à ces difficultés, Daniel Dubuisson en est venu, il y a quelques années, à remettre en cause le concept même de « religion » (L'Occident et la religion, Éditions Complexe, 1998). Invention récente de la pensée occidentale, ce concept n'aurait de sens que dans cette partie du monde, où un type particulier d'attitude a pu être pensé comme autonome et extérieur au reste de la société. Par exemple, l'idée que les croyances dites religieuses pourraient n'être qu'une affaire privée serait difficilement « exportable » en dehors de l'Occident. Ainsi, selon Dubuisson, toute tentative d'appliquer ce concept de religion à d'autres sociétés est source de confusion. Dans le même esprit, Richard King a récemment essayé de montrer que les catégories de l'hindouisme et du bouddhisme sont des constructions coloniales qui s'appliqueraient mal aux sociétés orientales (Orientalism and Religion , Routledge, 1999).
      Partageant ces orientations, Philippe Borgeaud s'intéresse ici aux origines de l'idée même d'histoire des religions (et non à la naissance, au XIXe siècle, de l'histoire des religions en tant que discipline universitaire). En comparant, d'un côté, la façon dont les auteurs de l'Antiquité observaient les différents univers symboliques, avec leurs kyrielles de dieux et de déesses, auxquels ils pouvaient être confrontés, et, d'un autre côté, la façon dont les auteurs chrétiens, en rupture avec les premiers, ont critiqué d'autres univers symboliques que le leur, Borgeaud estime que cette idée d'histoire des religions naît avec le Christianisme. Il en découle, là aussi, que le concept de religion, avec entre autres l'idée de credo qu'il véhicule, paraît inadéquat pour des sociétés comme celles de l'Antiquité. Et, plus généralement, l'auteur en tire la conclusion que les débats actuels sur la « religion » et sur la laïcité manqueront de pertinence tant que ceux-ci continueront à s'enfermer dans des catégories héritées du christianisme. Mais autant l'injonction est stimulante, autant on voit mal dans ce livre comment précisément renouveler ces débats… Peut-être dans un livre à venir ?

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 149, mai 2004.

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