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Compte rendu du livre :

Théorie et interprétation.
Pour une épistémologie des sciences humaines,

de Silvana Borutti,

Éditions Payot Lausanne (Sciences humaines), 2001.

      La question de savoir si les sciences humaines sont des sciences à part entière est une question mal posée, puisqu'elle présuppose que la notion de science est bien définie. Une question plus pertinente serait : quelle est la valeur cognitive des sciences humaines ? Autrement dit : est-ce que les sciences humaines nous apprennent quelque chose sur les objets qu'elles étudient ? Par exemple, la psychanalyse nous révèle-t-elle quelques aspects de la structure profonde de la psyché humaine, ou ne fait-elle que projeter sur cette dernière une théorie directement sortie de l'imagination de Freud et de ses épigones ?
      Pour répondre à ces questions, on pourrait décider d'évaluer les sciences humaines à l'aune des sciences de la nature. Mais, comme le défend l'auteur de ce livre, les objets humains ou sociaux peuvent difficilement être analysés à partir de théories régies par des formalismes abstraits, comme c'est le cas dans ce type de sciences. De surcroît, les sciences humaines seraient toujours mises en défaut en raison de leur incapacité à formuler des théories prédictives. Or, sans s'appuyer sur ces dernières, on peut manifestement obtenir des informations sur le monde extérieur.
      Pour réfléchir sur la valeur cognitive des sciences humaines, il faudrait donc se débarrasser de ce modèle de scientificité. Il est aussi nécessaire, selon l'auteur, de se départir de l'image de la connaissance comme copie d'une réalité indépendante. En référence à Bachelard, entre autres, pour qui les sciences de la nature construisent leurs objets, l'auteur défend ainsi une image constructiviste de la connaissance. S'inspirant aussi de la tradition herméneutique en philosophie, elle soutient plus précisément l'idée que la connaissance fonctionne comme un processus de traduction — ou d'interprétation — au cours duquel nos catégories mentales et/ou linguistiques informent un objet autrement insaisissable. Connaître serait ainsi rendre familier par une traduction/trahison ce qui nous est étranger.
      Aussi pertinentes que soient toutes ces analyses, ce livre laisse toutefois un goût d'inachevé. Car si l'auteur sait se montrer alerte pour expliquer comment sont censés opérer les processus cognitifs, elle laisse malheureusement dans l'ombre ce qui permettrait de distinguer une connaissance d'une illusion. Bref, la question de la valeur cognitive des sciences humaines, et notamment de la psychanalyse à laquelle est consacré un chapitre, reste entière.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 124, février 2002.

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