Compte rendu des livres :
La douleur des bêtes.
La polémique sur la vivisection au xixe siècle en France,
de Jean-Yves Bory
Presses Universitaires de Rennes, 2013.
&Souffrance animale.
De la science au droit,
de Thierry Auffret Van Der Kemp et Martine Lachance (eds)
Éditions Yvon Blais, 2013.Pendant des heures, « les tortures [succèdent] aux tortures. D’abord la victime se révolte : ce sont des hennissements de désespoir […] puis le sang coule ; [enfin] le fer [et] le feu font justice des forces du condamné. Alors, il ne lutte plus… ». C’est ainsi qu’un étudiant évoque le supplice des chevaux dans les écoles vétérinaires au xixe siècle. Ce genre de cruauté n’a rien d’exceptionnel. À l’époque, il est courant de clouer des chiens par les pattes et les oreilles directement sur les tables de vivisection. Après quoi, des hommes de sciences peuvent leur scier le crâne, leur enfoncer un fer brulant dans le cerveau, leur ouvrir en grand la poitrine, leur enfoncer un stylet dans la colonne vertébrale, leur percer et leur triturer la tempe, leur crever les yeux, etc. Les hurlements des pauvres bêtes servent alors à indiquer la sensibilité des nerfs ! Pour varier les expériences, ces savants peuvent aussi enfermer des chiens dans des étuves dont la température monte jusqu’à cent degrés ou leur faire ingurgiter divers produits pouvant provoquer, d’après les dires des expérimentateurs eux-mêmes, des « convulsions et contorsions horribles ».
Pourquoi ces pratiques se développent-elles au xixe siècle au point d’occuper une place centrale dans la recherche médicale de l’époque ? Dans un livre aussi érudit que percutant, l’historien Jean-Yves Bory montre que l’intérêt pour la vivisection provenait moins de son utilité que d’une idéologie du progrès qui faisait de la science la condition de toute émancipation et qui ne supportait aucune entrave. Les partisans de la vivisection rejetaient ainsi tout débat sur les incertitudes et les contradictions des résultats de leurs expériences. Ils niaient même que les expérimentateurs commettaient des abus ! L’auteur montre en particulier que la vivisection n’a pas été adoptée comme paradigme de la recherche médicale parce que son efficacité avait été démontrée, mais qu’elle fut considérée comme efficace parce qu’elle incarnait la science en marche. Ce renversement de perspective par rapport à une historiographie écrite sous l’emprise du discours triomphaliste des partisans de la vivisection l’amène à réhabiliter leurs adversaires, à savoir les antivivisectionnistes. Aussi auréolés du prestige de la science que les premiers pouvaient être, il semblerait que ce soit les seconds qui se trouvaient du côté de la raison.
Face à ce méticuleux travail historique, on ne peut qu’être tenté de s’interroger sur la situation actuelle de l’expérimentation animale pour en déterminer la part d’idéologie et d’utilité… Il ne fait plus de doute que les victimes de cette pratique peuvent souffrir, parfois terriblement. De fait, en dehors des insectes pour lesquels les observations ne sont pas concluantes, la plupart des animaux, crustacés inclus, ont des capacités à souffrir s’approchant plus ou moins des nôtres. Il suffit de lire les très riches actes du colloque Souffrance animale, de la science au droit pour s’en convaincre. Il est donc déraisonnable de nos jours de considérer que l’expérimentation animale (pour ne pas parler de l’industrie alimentaire) ne soulève pas des problèmes éthiques. Après une partie consacrée à l’approche scientifique de cette question de la souffrance animale, ce recueil d’interventions décrit justement tout l’appareil juridique mis en place dans de nombreux pays pour tenter de gérer ces problèmes. Mais le lecteur ne peut qu’être frappé par l’incohérence qui marque l’ensemble de ces législations. Ce qui laisse penser que la question animale n’a pas fini d’alimenter des polémiques…
Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 257, mars 2014.
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