Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Philosophies de la perception.
Phénoménologie, grammaire et sciences cognitives,

de Jacques Bouveresse et Jean-Jacques Rosat (eds),

Odile Jacob (Collège de France), 2003.

      Le film Matrix a eu le mérite de rappeler certains problèmes philosophiques posés par la perception. Selon la conception classique, cette dernière serait une capacité réceptive qui ne donnerait pas directement accès au monde extérieur. Ce n'est que par l'entremise d'une sorte de jugement, s'appliquant à nos expériences subjectives, telle une sensation tactile, que notre cerveau construirait une image du monde extérieur. Percevoir consisterait en quelque sorte à redoubler le monde extérieur pour la conscience. Mais, si nous n'avons un accès direct qu'à nos propres modifications internes, comment distinguer celles qui ont des causes externes de celles qui trouvent leur source en nous, comme dans les rêves, par exemple ? On a beau, instinctivement, en rapporter certaines au monde extérieur, apparemment rien ne permet de distinguer les unes des autres. Telle est la difficulté à laquelle se sont heurtés les philosophes depuis Descartes, et que met en scène le premier épisode de Matrix : comment être sûr que nous ne rêvons pas quand nous pensons ne pas être en train de rêver ?
      Plutôt que de penser que la perception d'un objet se construirait en quelque sorte à partir de la perception de nos sensations, certains philosophes en sont venus à considérer relativement récemment que la perception porte directement sur l'objet et non sur les sensations. C'est en ce sens que nous pourrions dire que nous voyons directement la réalité extérieure. Mais cette conception n'est pas, elle non plus, sans poser de problème. Comment, par exemple, pourrait-on dire que nous percevons les couleurs directement quand celles-ci sont definies à travers la notion de longueur d'onde ? Quoiqu'il en soit, cette nouvelle conception témoigne du renouveau actuel de la philosophie de la perception, particulièrement active dans le monde anglophone. Mais les Français ne sont pas en reste, comme on peut le voir avec ce recueil qui réunit des conférences données dans le cadre du séminaire de Jacques Bouveresse au Collège de France. Conçu comme une confrontation entre trois approches — celle héritée de la tradition phénoménologique, celle de la philosophie du langage dans le sillage de Wittgenstein et celle des sciences cognitives —, l'ouvrage offre des articles parfois assez techniques et de valeur inégale, mais il a le mérite de constituer un instructif état des lieux des différentes approches philosophiques de la perception.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 148, avril 2004.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr