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Compte rendu du livre :

La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II,

de Fernand Braudel,

Armand Colin, 1949 [1966].

      Si Fernand Braudel (1902-1985) avait poursuivi son projet initial, ce livre aurait dû s'intituler La politique méditerranéenne de Philippe II. Mais, sur les conseils de Lucien Febvre, il opta pour La Méditerranée […] à l'époque de Philippe II (1949). Ce nouveau titre traduisait un changement de perspective : le personnage central n'était plus le fils de Charles Quint qui hérita de la couronne d'Espagne en 1556 et décéda en 1598, mais la Méditerranée au cours de la seconde moitié du XVIe siècle. Il n'était par conséquent plus question d'écrire une histoire diplomatique, centrée sur un homme d'État, mais d'appréhender la « mer Intérieure » dans toutes ses dimensions : géographique, économique et sociale. Autrement dit, Braudel cessait de s'intéresser aux contingences liées aux destinées individuelles pour se tourner aussi bien vers les liens des hommes à la terre, que vers les échanges marchands ou les différents modes de vie. La Méditerranée… s'inscrivait ainsi parfaitement dans le projet des Annales, tel qu'il avait été défini depuis la fondation de la revue en 1929. Contre une histoire tournée vers les grands hommes et les événements politiques, les Annales défendaient en effet une histoire tournée vers ces lents processus qui témoignent des transformations profondes des sociétés. Retenant aussi la leçon de Lucien Febvre selon laquelle les historiens ne devaient pas étudier un objet mais un problème, Braudel essaya moins d'écrire une histoire de la mer Intérieure que d'analyser quand et comment s'opéra le déclin de la Méditerranée au profit de l'Atlantique.
      L'originalité de Braudel fut alors de concevoir une réponse qui s'articulait suivant une pluralité de durées (trois exactement), auxquelles correspondaient autant de parties dans son ouvrage. La première, concernant le temps géographique — qui relève de ce que l'on appelle la longue durée —, relatait « une histoire quasi immobile, celle de l'homme dans ses rapports avec le milieu qui l'entoure ». La deuxième, centrée sur le temps social, traitait de l'histoire des sociétés dans leurs dimensions économiques et sociales. Enfin, la dernière partie, axée sur le temps individuel, retrouvait l'histoire traditionnelle avec son cortège de guerres et de paix. Mais au-delà de l'ampleur de son projet et de sa volonté d'écrire en quelque sorte une « histoire totale », Braudel allait marquer les esprits par sa vigoureuse condamnation de l'histoire événementielle. Selon lui, cette histoire ne décrivait en effet qu'une « poussière de faits divers », qu'une « agitation de surface » ou encore que « les vagues que les marées soulèvent sur leur puissant mouvement ». Or l'objet de l'entreprise historique devait être de remonter des « vagues » aux marées qui les produisent.
      Cette profession de foi fit école au point que Braudel exerça un véritable magistère sur l'historiographie française pendant près d'un quart de siècle, jusqu'à ce que, au début des années 1980, l'histoire politique acquis à nouveau droit de citer. Mais, par le souffle qui l'anime, La Méditerranée… demeure une des plus belles œuvres historiques à avoir cherché à intégrer l'apport de toutes les sciences sociales.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, Hors-série 42,
« La bibliothèque idéale des sciences humaines », 2003.

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