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Compte rendu du livre :

Vie et mort des croyances collectives,

de Gérald Bronner,

Hermann (Société et Pensées), 2006.

      Prenez une grenouille. Plongez-la dans une casserole remplie d'eau froide. Tandis qu'elle y séjourne paisiblement, augmentez la température d'un degré. Elle ne percevra pas la différence. Puis augmentez de deux degrés, de trois et ainsi de suite, très progressivement, jusqu'à atteindre l'ébullition. La grenouille ne se sera aperçu de rien ; elle sera morte ébouillantée. Cette parabole est utilisée par Gérald Bronner dans ce livre pour illustrer l'idée que, petit à petit, chacun de nous peut se mettre à croire à des choses aberrantes sans s'en rendre compte. Ce qui veut dire — et c'est là une des idées centrales du livre — que les croyances les plus saugrenues ne viennent pas nécessairement de nulle part. Il y a souvent une progression logique qui les sous-tend. Ainsi les membres de telle ou telle secte jugée extravagante n'ont pas forcément perdu toute leur raison. C'est d'ailleurs pour cela — au grand étonnement des observateurs naïfs — qu'ils peuvent parfois exercer en même temps des professions « intellectuelles » (médecin, ingénieur, etc.) qui font appel à un minimum de sens critique.
      Bronner ne considère pas pour autant que toutes les croyances se valent. Si elles relèvent presque toutes d'une logique, certaines logiques sont, à ses yeux, incorrectes. Son propos consiste alors à mettre à plat les mécanismes qui conduisent à l'émergence et à la disparition de ces croyances collectives problématiques. L'analyse de la crédulité collective n'a rien de nouveau. Raymond Boudon a été, en France, l'introducteur du genre. Toute l'originalité de Bronner est d'adopter une approche expérimentale. S'appuyant sur une série de questionnaires et d'entretiens à propos de croyances contemporaines très diverses (rumeur sur la disparition des cadavres dans le XIIIe arrondissement de Paris, abandon de la croyance au Père Noël, etc.), il décortique la façon dont on en vient à croire ou à abandonner une croyance. Autant d'analyses critiques qui permettent de comprendre comment l'on devient une grenouille ébouillantée.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 174, août-septembre 2006.

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