Compte rendu du livre :

Les Corps vils.
Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles
,

de Grégoire Chamayou,

Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2008.

      La médecine a sa part d'ombre. Certes, elle œuvre à soulager les souffrances humaines. Mais on oublie trop souvent que ses progrès se sont fondés sur l'exploitation d'individus dont l'existence était jugée insignifiante. C'est ce que nous rappelle Grégoire Chamayou dans ce livre novateur qui, à l'encontre d'une histoire abstraite de la médecine, s'intéresse aux sujets de l'expérimentation médicale aux xviii e et xix e siècles. Il y montre que cette dernière a toujours recouru à des « corps vils », c'est-à-dire des corps de « personnes de peu d'importance », sur lesquels les médecins s'autorisaient à procéder à des expériences hasardeuses.
      Ces corps vils pouvaient provenir de « gens insignifiants » que les médecins faisaient déterrer de nuit dans les cimetières pour procéder à des dissections. Ce pouvait être des cadavres plus frais, ceux des condamnés à mort, juste après leur exécution. Mais ces corps vils pouvaient également être des corps vifs, ceux des prostitués, des indigents, des bagnards, des paralytiques, des colonisés, etc. Ainsi Claude Bernard supervisait les derniers repas des condamnés à mort pour ses expériences sur la glycogénie du foie ; Louis Pasteur demandait à l'Empereur du Brésil de pouvoir disposer de détenus pour expérimenter son vaccin contre la rage ; Robert Koch administrait un dérivé de l'arsenic à des populations indigènes d'Afrique en vue de comprendre la maladie du sommeil. Et ainsi de suite. En décrivant cette face cachée de l'expérimentation médicale, Chamayou montre comment une certaine rationalité scientifique est entrée en connivence avec des politiques d'avilissement d'autrui. Cette situation n'a pas complètement changé. De nos jours, les cobayes, même consentants, proviennent toujours de catégories sociales déterminées. Et puis, même si Chamayou n'aborde pas le sujet, la question de l'expérimentation animale forme le pendant de ses analyses. Aujourd'hui encore, la médecine prétend ne pouvoir soigner l'homme qu'en torturant et massacrant des êtres vivants. Qui pourrait encore nier la dimension politique de la pratique scientifique ?

Thomas Lepeltier, 2009.

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