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Compte rendu du livre :

L’animal est-il un philosophe ?
Poussins kantiens et bonobos aristotéliciens
,

de Yves Christen,

Odile Jacob, 2013.
christen-animal-est-il-un-philosophe

      Aucun poussin n’est connu pour suivre les préceptes de la philosophie d’Emmanuel Kant, ni aucun bonobo ceux de celle d’Aristote. Mais cette triviale constatation n’empêche pas le biologiste Yves Christen de considérer ces animaux comme des philosophes, au même titre que les animaux humains d’ailleurs. C’est que les premiers, comme les seconds, ne se contentent pas de percevoir passivement leur environnement. Conceptuellement, ils l’élaborent, le construisent, l’imaginent. En d’autres termes, tout animal, à sa façon, donne du sens aux choses qui l’entourent et se façonne une conception du monde. N’est-ce pas ce que font aussi les philosophes ?
      Certes, voilà un usage assez souple de ce terme de philosophe. Mais ce n’est pas innocent chez Y. Christen. Ce dernier estime en effet qu’il n’est pas suffisant de déconstruire, comme on le fait de plus en plus de nos jours, l’idée que l’animal est sans intelligence, sans conscience, sans langage, sans morale, etc. S’efforcer de trouver chez nos cousins, en termes évolutifs, une amorce de ces qualités conduit toujours à les présenter comme des ébauches de nous-mêmes, dans une position d’infériorité. Or Y. Christen cherche, quant à lui, à comprendre la richesse et la spécificité de la façon dont les animaux construisent mentalement leur monde et le perçoivent. D’où son insistance à les traiter en philosophes.
      Cet objectif l’amène dans ce livre bienvenu à croiser réflexions philosophiques et analyses éthologiques ou neurologiques sur les animaux afin d’essayer de saisir ce que peut être, pour chaque animal, son rapport au temps, son sens moral, sa conscience du « je », sa façon de souffrir, de croire, de communiquer, de raisonner, etc. Au terme de ce parcours, Y. Christen s’interroge sur le sort que l’on doit réserver à Socrate, un chimpanzé utilisé dans des expériences médicales. Implicitement, le livre débouche donc sur une question éthique : a-t-on le droit de tuer des philosophes ?
 

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 256, février 2014.

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