Compte rendu du livre :
Histoire de l'écriture.
De l'idéogramme au multimédia,d'Anne-Marie Christin (eds),
Flammarion, 2001.En grec ancien, écrire et dessiner se disent l'un et l'autre graphein. Et on voit parfois sur les vases grecs une combinaison de motifs ornementaux et de mots, sans que ces derniers aient toujours un sens ; ils ne sont là que pour l'effet visuel qu'ils procurent. Ainsi, même dans la tradition grecque, la lettre pouvait être un objet pictural à part entière. Deux millénaires plus tard, Stéphane Mallarmé publie son poème, Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, dans lequel il joue avec la disposition des caractères sur la page, de façon à créer un symbolisme spatial irréductible à la signification linéaire du texte. Que Mallarmé ait ou non élevé, selon le mot de Paul Valéry, « une page à la puissance du ciel étoilé », sa tentative souligne en tout cas, après tant d'autres, le lien indissociable entre l'écriture et l'image. C'est ce lien qui est en quelque sorte à l'honneur dans ce beau recueil d'articles, superbement illustré, auquel a contribué une cinquantaine de chercheurs, et qui retrace l'histoire de l'écriture de ses premières apparitions à ses usages dans la société moderne.
Dire que tout commence en Mésopotamie, à la fin du IVe millénaire avant notre ère, est bien sûr une donnée importante sur le plan chronologique. Mais en mettant l'accent sur la pluralité des origines — la première partie du recueil est ainsi intitulée « Origines et réinventions », les deux mots étant au pluriel —, ce livre entend ne pas négliger les autres formes d'écritures apparues de façon indépendante, en des lieux et à des moments différents. Outre une présentation des écritures cunéiforme et égyptienne, de nombreuses pages sont ainsi consacrées à l'écriture chinoise apparue vers le XIVe siècle avant J.-C. — et bien sûr à la calligraphie. De même, plusieurs articles abordent les écritures méso-américaines, et notamment l'écriture maya, qui remonte au moins au IIIe siècle de notre ère. Sans oublier un petit article consacré à l'écriture rongo-rongo de l'île de Pâques (encore non déchiffrée). Etc.
Loin d'être figées dans le temps, la plupart de ces écritures ont évolué, et notamment l'écriture chinoise, qui a su parfaitement se rationaliser au point par exemple de se prêter aujourd'hui très facilement au traitement informatique. En tout cas, les premières langues à être mises par écrit à l'aide d'une trentaine de signes uniquement — des signes essentiellement consonantiques — furent des langues sémitiques. C'est à cet alphabet primitif de la première moitié du IIe millénaire avant notre ère que se rattachent les écritures phénicienne, hébraïque, et araméenne. Puis, vers la fin du IXe siècle, l'alphabet phénicien est emprunté et adapté par les Grecs qui le transmettent ensuite aux Étrusques — dont les premières inscriptions datent de la fin du VIIIe siècle av. J.-C. —, qui à leur tour le diffuseront auprès des peuples latins.
À travers tous ces articles, à la fois clairs et riches en information, il est rappelé que l'écriture, à ses débuts, ne servit pas uniquement à transcrire la parole ou à répondre à des besoins de comptabilité. Elle eut, dès le départ, une certaine autonomie face à la langue parlée ou aux exigences de la vie quotidienne ; ce qui lui donna une dimension esthétique, politique et parfois religieuse. Quant à l'histoire de l'écriture dans les siècles qui courent jusqu'à notre époque, le recueil montre qu'elle est encore riche en péripéties. De la minuscule caroline introduite sous Charlemagne à la typographie moderne en passant par la naissance de l'imprimerie, le lecteur curieux aura de quoi être satisfait.
Regrettons seulement la présence de quelques articles assez décevants. Donnons deux exemples. Pour « coller » à nos pratiques les plus modernes, l'éditeur a cru bon d'insérer un article sur « Écriture et multimédia ». Mais si l'article commence par dire que le multimédia opère « une redéfinition de l'écriture », ou encore qu'il en vient « à réactiver certaines des richesses oubliées de l'écriture — et, en les réactivant, [qu'il] les soumet à de nouveaux défis », il ne fait ensuite qu'énoncer quelques truismes sur l'utilisation d'Internet. De même, si on comprend l'intérêt qu'il y a à s'entourer des collaborateurs les plus prestigieux, force est de constater que même un professeur au Collège de France ne peut pas dire grand chose sur « L'Écriture dans la ville au XVIIIe siècle » quand moins de deux pleines pages lui sont imparties ? Heureusement, ces quelques erreurs éditoriales n'enlèvent rien à la qualité générale de l'ouvrage.Thomas Lepeltier, Pour la science, 298, août 2002.
Pour acheter ce livre : Amazon.fr