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Compte rendu du livre :

The Origins of Sex.
A History of the First Sexual Revolution,

de Faramerz Dabhoiwala,

Allen Lane, 2012.

Dabhoiwala

      Il fut un temps, pas si lointain, où il était risqué de commettre un adultère, de se prostituer ou même d'avoir des relations sexuelles hors mariage. Par exemple, dans le droit anglo-saxon, en vigueur en Angleterre avant la conquête normande, les personnes accusées d'avoir commis un adultère pouvaient être privées de leurs biens, avoir leurs nez et oreilles coupés, et être expulsées de la communauté. Plus tard, après la Réforme, dans les endroits où les Puritains avaient pris le pouvoir, les personnes coupables d'adultère pouvaient tout simplement être exécutées, comme l'étaient déjà les sodomites et les bigames. Bien sûr, la justice n'a jamais été vraiment équitable. Les riches avaient plus de chances d'échapper au pilori que les pauvres. Mais tout le monde vivait dans un univers où nombre de relations sexuelles inspiraient l'effroi. Elles étaient censées courroucer Dieu, mettre en péril le salut de tous et miner l'ordre social. De quoi inquiéter ceux qui ressentaient les tentations de la chair ! Puis, comme nous le raconte l'historien Faramerz Dabhoiwala, à partir du XVIIIe siècle, l'attitude vis-à-vis du sexe se met à changer. Petit à petit, les relations sexuelles consenties commencent à relever de la sphère privée.
      Cette première révolution sexuelle est toutefois loin d'être uniforme. D'abord, au XVIIIe siècle, ce ne sont que les couches aisées de la société qui commencent à goûter au plaisir de la liberté. Ensuite, l'homosexualité va rester encore pendant longtemps moralement et pénalement condamnée. Enfin, si l'idée selon laquelle la liberté sexuelle est naturelle gagne du terrain, elle ne concerne, dans la plupart des cas, que les hommes. Cette nouvelle forme de sexisme pourrait sembler paradoxale, puisque, pendant des siècles, la gent féminine avait été considérée comme plus lubrique que la gent masculine. Étant le sexe faible, la femme pouvait moins contrôler ses passions. C'était donc elle qui entraînait les hommes dans le péché. Pourtant, au XVIIIe siècle, par un étonnant renversement de perspective, la femme devient un être voué naturellement à la chasteté. Ce sont maintenant les hommes qui sont libidineux et avides de débauches. Ce sont eux qui menacent la femme, laquelle se tient constamment sur ses gardes face à cette rapacité masculine. Ce développement paradoxal de la liberté sexuelle va d'ailleurs entraîner un changement de regard sur le commerce du sexe. Pendant longtemps, la prostituée fut la plus réprouvée des créatures, méritant les châtiments les plus sévères. Mais, au milieu du XVIIIe siècle, elle commence à apparaître comme l'innocente victime de la lubricité masculine et du déclassement social. C'est maintenant elle qu'il faut sauver.
      Les conséquences de cette première révolution sexuelle influence encore nos approches de l'homosexualité, de l'adultère, de la prostitution, des jeux de séduction, etc. En ce sens, nous sommes les héritiers directs du XVIIIe siècle. En même temps, comme le souligne l'auteur, dans de nombreux pays du monde actuel, le regard sur la sexualité rappelle tristement la situation de l'Europe « pré-moderne ». Dans ces endroits, des hommes, et surtout des femmes, risquent des condamnations publiques, quand ce n'est pas l'exécution, pour une relation sexuelle en dehors du mariage ou avec un partenaire du même sexe. Cette situation rend ce livre d'histoire culturelle encore plus frappant. Offrant une vision d'une grande richesse sur un changement de mentalité fondamental entre le XVIIe et XIXe siècles — et finalement pas si bien connu que cela — il nous interpelle aussi sur la diversité des morales sexuelles dans le monde contemporain.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 238, juin 2012.

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