Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Pour les Lumières.
Défense, illustration, méthode,

de Robert Darnton,

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-François Baillon,
Presses universitaires de Bordeaux, 2003.

      Les Lumières n'ont pas toujours eu bonne presse. Leur prétention à l'universalité, disent certains, n'aurait été que le masque de la volonté hégémonique de l'Occident et de son impérialisme culturel. Leur conception instrumentale de la raison, loin d'apporter le bonheur aux hommes, aurait été à la source des régimes totalitaires, à commencer par la Terreur. Leur mépris de la sensibilité, contre lequel se positionna déjà le Romantisme, aurait servi toutes les formes modernes d'oppression et d'asservissement. Et ainsi de suite. Historien de l'écrit au XVIIIe siècle, Robert Darnton, dans le premier des quatre articles ici réunis, critique cette lecture à rebours des Lumières qui les accuse d'aboutir à ce qu'elles ont justement dénoncé. Il n'y aurait pour lui nulle hypocrisie de la part des philosophes quand ils dénonçent la tyrannie et l'injustice sociale. Et ce n'est pas parce que la société moderne s'imagine sortie des Lumières qu'il faudrait les rendre responsables de tous ses maux.
      C'est toutefois moins dans cette défense des Lumières que dans ses analyses de la production livresque à cette époque que Darnton excelle, comme en témoignent les trois autres articles. Il défend depuis une trentaine d'années la thèse selon laquelle la Révolution française n'est pas née directement des Lumières, dont les idées plutôt conservatrices étaient largement acceptées par la haute société dans les années 1770-80, mais qu'elle aurait en revanche trouvé un formidable relais, une fois enclenchée, chez nombre de plumitifs vivant péniblement et nourrissant donc un fort ressentiment contre une société qui les excluait. Cette bohème littéraire qui se répandait en pamphlets a d'ailleurs été portée au pouvoir par la Révolution en la personne des Brissot et Marat.
      Darnton ne s'est donc pas contenté de lire les textes canoniques des Lumières, mais est allé à la rencontre du petit peuple des gens de lettres en essayant de comprendre comment s'articulait production textuelle et condition de vie. L'histoire culturelle du XVIIIe siècle en a été renouvellée. Et la richesse de cette approche est à nouveau illustrée ici par une analyse du rousseauisme qui imprégnait le mythe américain avant la Révolution, et par celle de la mutation épistémologique à l'œuvre dans l' Encyclopédie. Enfin, la mise au point méthodologique qui conclut le recueil réafirme avec force, contre ses détracteurs, l'intérêt d'étudier les contraintes sociales qui pèsent sur la production des discours. Très stimulant !

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 139, juin 2003.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr