Contre-nature,
de Lorraine Daston,
Éditions Markus Haller, 2024 [2019].
La nature ne nous dit pas comment nous comporter : ce qui est n’implique pas ce qui doit être. Penser le contraire reviendrait à confondre un jugement de fait avec un jugement normatif. Pourtant, beaucoup de comportements ou d’objets sont très régulièrement jugés bons ou mauvais en raison de leur supposé caractère naturel ou inversement. Il en va ainsi de l’homosexualité, de l’allaitement au sein, des produits bio, des OGM, etc. Si tous les philosophes et scientifiques reconnaissent que ce mode de pensée – appelé paralogisme naturaliste – est incorrect, comment expliquer son omniprésence dans la société ? C’est la question à laquelle tente de répondre l’historienne des sciences Lorraine Daston dans ce livre.
Selon elle, ce paralogisme ne serait pas une simple manifestation de notre irrationalité, mais répondrait à un besoin. Elle l’explique en commençant par distinguer trois sens du mot « nature », selon qu’il désigne une supposée essence des choses, qu’il fasse référence à de présumés équilibres dans le monde, ou qu’il évoque la régularité de processus physiques ou biologiques. Cette distinction définit alors le caractère non naturel de trois types de comportements, à savoir celui qui irait contre l’essence des choses, celui qui entraînerait des déséquilibres et celui qui introduirait de l’aléatoire dans le monde. Dans chaque cas, le comportement non naturel serait donc vu comme source de désordre.
Selon Daston, c’est la peur de ce désordre, et notre besoin concomitant de réaffirmer des normes, qui seraient à l’origine de notre moralisation de la nature. Un résidu d’attitude religieuse nous inciterait ainsi à tirer ces normes d’une nature dans laquelle nous verrions comme une volonté divine s’exprimer. Puis, un fort désir de représentation imagée nous pousserait à les chercher dans la nature, plutôt que dans des raisonnements abstraits. Dès lors, pour éviter le paralogisme naturaliste, il nous faudrait aller contre nos intuitions spontanées, ce qui suppose de fournir un effort intellectuel. La difficulté de cette démarche expliquerait la persistance de ce mode de pensée.
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines,
369, juin 2024.
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