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Compte rendu du livre :

Le Livre Cœur,

d'Edmondo De Amicis,

Suivi de deux articles d'Umberto Eco,
Traduit de l'italien par Piero Carcciolo, Marielle Macé, Lucie Marignac et Gilles Pécout,
Notes et postface de Gilles Pécout,
Éditions Rue d'Ulm (Versions Françaises), 2001.

      Ça aurait pu être un banal récit exaltant les bons sentiments et les vertus de l'éducation. Mais ce fut un des plus grands succès de l'histoire de l'édition italienne, conférant immédiatement à son auteur, Edmondo De Amicis, une notoriété internationale. Publié en 1886, Le Livre Cœur est un peu comme notre Tour de France de deux enfants (1877). On y retrouve la même exaltation des valeurs patriotiques, la même affirmation de l'unité du pays, et la même confiance dans les vertus de l'éducation. En 1877, la France venait de perdre l'Alsace-Lorraine à la suite de la guerre contre la Prusse (1871) et ne s'en remettait pas. En 1886, l'Italie venait d'être unifiée (1870) et le dernier « père de l'Unité », Garibaldi, venait de mourir (1882). Dans les deux cas, les patriotes des deux pays voulaient faire aimer aux enfants, et aux plus grands, une patrie forte et unie. Alors ces deux livres servirent tout simplement de relais à cette idéologie.
      Ce Livre Cœur est donc un témoignage exceptionnel sur la construction de l'identité italienne. C'est en quelque sorte un « lieu de mémoire » qui permet de comprendre comment cette identité imaginaire a été conçue. Mais la pérennité du succès de ce roman, encore très lu dans les années 1960, n'en fait pas uniquement un document historique sur la fin du XIXe siècle. Dans deux articles écrits en 1962 et en 1973, et insérés dans le volume, Umberto Eco se déchaîne contre ce roman, à ses yeux réactionnaire et nationaliste, au plus mauvais sens du terme. Sous les bons sentiments, se cacherait en effet ce même esprit « petit bourgeois » qui a soutenu, même encouragé, ce que l'Italie à connu de pire avec Mussolini.
      Aujourd'hui où on reparle d'éducation civique, d'apprentissage de la citoyenneté et du respect d'autrui, et où on multiplie les livres à vertu pédagogique, il est donc bon de s'interroger sur cet étalage de bonnes intentions et sur ce que, potentiellement, il pourrait cacher. Cette édition critique du Livre Cœur peut être un bon point de départ pour une telle réflexion, d'autant plus que les notes et la postface, qui occupent près d'un tiers du volume, éclairent utilement le contexte de sa composition.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 127, mai 2002.

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