On entend souvent dire que les peuples autochtones sont proches de la nature. Mais, pour Philippe Descola et Alessandro Pignocchi, le penser revient à faire un contresens. Pour se considérer comme « proches de », il faut déjà estimer être « distincts de ». Or, comme l’expliquent ce professeur émérite au Collège de France et cet ancien chercheur en science cognitive, maintenant dessinateur de bandes dessinées, beaucoup de peuples autochtones se considèrent comme faisant partie de la nature. Pour les Achuars, par exemple, peuple d’Amazonie que les deux auteurs connaissent bien, ce que nous appelons la nature n’est pas appréhendé comme une réalité séparée de la vie sociale : les plantes, les animaux, les forêts, les rivières, etc., sont dotés d’une intériorité qui permet de communiquer avec eux, plus ou moins suivant les mêmes conventions qu’avec les humains. D’une certaine manière, on peut donc dire que, chez ce genre de peuple, la nature n’existe pas.
Ce sont les Occidentaux qui auraient inventé la nature en la définissant comme ce qui est extérieur à l’humanité ou, pour le dire autrement, qui auraient pensé la nature et la culture comme deux domaines distincts. Ce n’est pas anodin. Nos deux auteurs accusent en effet cette forme de rupture d’être responsable de la détérioration de notre environnement. En faisant des plantes, des animaux et des écosystèmes des entités extérieures à notre monde humain, nous nous serions sentis autorisés à les exploiter. Cette accusation est toutefois discutable. Les peuples autochtones n’exploitent-ils pas, eux aussi, leur environnement ? Certes, moins que ne le font les Occidentaux. Mais est-ce en raison d’une conception différente de cet environnement ou par manque de moyens ? Puis, regrettant cette rupture, les deux auteurs nous invitent à découvrir de nouvelles façons d’habiter le monde. L’expérience qui leur semble la plus prometteuse est celle des Zad. Il n’y a pas de doute que ces structures font preuve d’innovation sociale. Mais sont-elles généralisables à l’ensemble de la société ? Là encore, l’idée est discutable. Cela étant dit, par leur réflexion sur différentes façons d’habiter le monde, les auteurs ont le mérite de nous faire réfléchir à une importante spécificité de notre modernité.
Thomas Lepeltier (décembre 2022).
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