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Compte rendu du livre :

Le Pari biographique.
Écrire une vie,

de François Dosse,

La Découverte, 2005.

      « Pas l'homme, jamais l'homme, les sociétés humaines, le groupe organisé. » Tel fut le mot d'ordre adressé par Lucien Febvre en 1922 aux historiens. Fidèle défenseur de la cause, Fernand Braudel n'affichait également que du mépris pour la biographie, ne voyant dans les grandes figures de l'histoire que les produits d'une tendance historique impersonnelle. Ce rejet de la biographie — limité au milieu universitaire, puisque le public cultivé l'a toujours bien accueillie — n'a plus cours. Dans une somme sur le sujet, où il étudie en détail l'évolution du genre, de l'Antiquité jusqu'à nos jours, François Dosse montre comment ce grand retour de la biographie s'est toutefois effectué en déplaçant les anciennes problématiques de cet exercice particulier qui consiste à « écrire une vie ». Il en vient ainsi à distinguer trois grands moments de l'écriture biographique.
      Jusqu'au XVIIIe siècle la biographie consistait en une héroïsation des « grands hommes » et avait pour dessein d'éduquer et d'édifier. C'est « l'âge héroïque » de la biographie. Puis le XIXe et une grande partie du XXe siècles correspondent à l'âge de la biographie modale. L'histoire ayant perdu son caractère éducatif et les sciences sociales, en quête de scientificité, se méfiant d'un genre jugé trop littéraire, ce fut un temps de disgrâce : la biographie n'acquérait droit de cité que si elle entendait révéler des traits collectifs qui dépassaient l'individu. Enfin, la troisième et dernière phase, qui commence dans les années 1980, est plutôt d'ordre « herméneutique ». Si la biographie retrouve sa légitimité, ce n'est plus pour construire des héros ou pour dessiner un idéal-type représentatif d'une époque. Faisant feu de tout bois, la biographie est désormais sensible à la pluralité des identités en jeu chez un individu, à la multiplicité des angles d'approche d'une personne, à l'évolution du regard porté sur tel ou tel personnage historique, etc. Bref, c'est le temps de l'expérimentation et de la réflexivité où, sensibles à toute expression d'une singularité, les biographes s'interrogent sur l'articulation entre le singulier et le collectif.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 163, août-septembre 2005.

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