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Compte rendu du livre :

Impostures et pseudo-science.
L'œuvre de Mircea Eliade,

de Daniel Dubuisson,

Presses Universitaires du Septentrion, 2005.

      Mircea Eliade (1907-1986) est vraisemblablement l'historien des religions le plus connu au monde. Professeur à la prestigieuse Université de Chicago, détenteur de multiples doctorats honoris causa, il est l'auteur d'une œuvre abondante, traduite dans de nombreuses langues. Ce que l'on découvre de plus en plus depuis une vingtaine d'années, c'est l'importance de son engagement fascisant au cours de sa jeunesse roumaine. Eliade a en effet adhéré dans les années 1930 à un parti fasciste violemment antisémite et a prôné un rejet total de l'héritage des Lumières (démocratie, égalité des droits, etc.). Bien qu'il n'ait jamais renié cet engagement, certains n'ont voulu y voir qu'une erreur de jeunesse ne mettant nullement en cause la valeur de l'œuvre. Telle n'est pas l'opinion de Daniel Dubuisson. Ce livre, constitué de textes publiés ces dix dernières années, est un véritable réquisitoire contre une œuvre qui serait non seulement d'une grande indigence sur un plan théorique mais également nauséabonde sur un plan idéologique. À travers sa valorisation de la notion de « sacré », sa focalisation sur les rites d'initiation et de régénération cosmique, sa fascination pour les mondes archaïques ou primitifs, son attirance pour l'occulte, etc., Eliade n'aurait fait que transposer ses idées de jeunesse dans son œuvre d'historien des religions.
      L'argumentation est claire, précise, percutante. Reste une énigme. Comment une œuvre apparemment aussi douteuse et sans fondement a-t-elle pu bénéficier pendant des décennies d'un tel prestige ? Difficile de dire que tous ceux qui trouvaient un intérêt dans l'œuvre d'Eliade partageaient son idéologie fascisante ou son attrait pour l'occulte. Faut-il alors expliquer son succès par sa prose séduisante et ses procédés rhétoriques racoleurs ? Eliade l'ensorceleur ? Peut-être. Mais au-delà de ses motivations idéologiques et de la faiblesse de son argumentation, n'y a-t-il pas dans ses livres, comme disait Georges Dumezil, « des idées claires et éclairantes » ? C'est ce qu'il faudrait déterminer pour savoir si Eliade doit vraiment être jeté dans les oubliettes de l'histoire.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 163, août-septembre 2005.

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