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Compte rendu du livre :

Le Rôle social de l'historien.
De la chaire au prétoire,

d'Olivier Dumoulin,

Albin Michel, 2003.

      Lors du procès Papon, des historiens sont venus témoigner. Témoigner de quoi, eux qui n'avaient rien vu ? Témoigner d'événements dont ils n'avaient pas été les témoins, mais à propos desquels ils acceptaient de jouer le rôle de l'expert. Voilà de quoi perturber une partie de la communauté des historiens. Ces confrères qui interviennent ainsi dans une cour de Justice ne remettent-ils pas en cause la déontologie du désengagement que tout historien se doit de respecter ? Lucien Febvre avait été catégorique sur ce point : « Une histoire qui sert est une histoire serve. » Cette intervention des historiens dans les affaires de la cité n'est toutefois pas une nouveauté.
      Comme le montre Olivier Dumoulin dans ce livre, l'idée que l'historien doit jouer un rôle social traverse la discipline depuis sa professionnalisation dans la seconde moitié du XIXe siècle. Symptomatique de toute une approche, un des grands « prêtres » de la discipline, Gabriel Monod, soulignait en 1876 le lien entre le service de la nation et celui de la science sans y voir de paradoxe : « C'est ainsi que l'histoire sans se proposer d'autre but et d'autre fin que le profit qu'on tire de la vérité, travaille d'une manière secrète et sûre à la grandeur de la Patrie en même temps qu'au progrès du genre humain. » Imbu de ce rôle de savant au service de la patrie, l'historien allait aussi assumer celui d'instituteur de la nation. Les hécatombes de la Première Guerre mondiale eurent toutefois pour effet de modérer cet engagement patriotique. L'entre-deux-guerres vit donc l'historien aspirer à être plutôt un savant au-dessus de la mêlée. Cette coupure entre l'historien et le citoyen allait toutefois s'avérer difficile à tenir tant était diffuse, bien que sous diverses formes, l'idée que la vérité sur les temps passés devait être mise au service de la société présente. Et c'est certainement la persistance de cette idée qui explique la participation active de nombre d'historiens à la vie de la cité de nos jours.
      Cette attitude reste toutefois problématique, comme le montre particulièrement la situation aux États-Unis, où on voit de plus en plus d'historiens intervenir dans la société, non pas au nom de la Vérité, mais pour défendre l'intérêt de tel ou tel groupe social. Cynisme ou lucidité quant à l'absence d'une vérité historique unique ? C'est tout le débat qui pointe à l'horizon de ce livre.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 139, juin 2003.

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