Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Would You Kill the Fat Man ?
The Trolley Problem and What Your Answer
Tells Us about Right and Wrong
,

de David Edmonds,

Princeton University Press, 2013.
edmonds-kill-the-fat-man-trolley-problem

      Le dilemme a été maintes fois présenté. Un wagon (« trolley »), dont les freins ont lâché, se dirige à toute vitesse sur un groupe de cinq personnes attachées sur les rails. Témoin de la scène, vous avez la possibilité d’actionner un aiguillage qui détournera le wagon sur une voie ferrée parallèle. Le problème est que sur celle-ci se trouve une autre personne, elle aussi attachée sur les rails. Que faites-vous ? Même question à propos de la variante suivante. Le wagon fou se dirige toujours sur un groupe de cinq personnes attachées sur les rails mais, cette fois-ci, vous êtes sur un pont passant au-dessus de la voie sans possibilité de faire bifurquer l’engin. Le seul moyen de sauver ces personnes est de faire tomber quelque chose de très lourd sur les rails afin de stopper le wagon. L’ennui est que la seule chose qui se trouve à portée de main est un homme obèse (« fat man »). Allez-vous le pousser par dessus le parapet, c’est-à-dire le tuer, pour sauver cinq autres vies ?
      Ces dilemmes ne sont pas identiques. Dans le premier, si vous détournez le wagon, la mort de l’innocent n’est qu’un effet collatéral de votre tentative de sauver cinq vies. Dans le deuxième dilemme, si vous poussez le gros monsieur, vous êtes un meurtrier, même si votre intention est louable. En fonction de l’approche de la morale que l’on adopte, cette différence n’a pas toujours d’incidence sur la décision à prendre. Par exemple, suivant l’approche dite utilitariste, seules les conséquences d’un acte comptent. Dans ce cas, il est toujours préférable de sacrifier un innocent pour en sauver cinq. En revanche, suivant l’autre grande approche, dite déontologique, il n’est jamais acceptable d’utiliser une personne comme un moyen en vue d’une fin. Dans ce cas, on ne tue pas le gros monsieur, même si cela permet de sauver cinq autres innocents. Toute la question est bien sûr de savoir quelle approche adopter.
      Ces dernières années, ces dilemmes moraux, et d’autres du même acabit, ont fait l’objet d’un véritable engouement chez certains psychologues, neurobiologistes et biologistes. Chacun y allait de sa petite expérience ou réflexion pour tenter de leur trouver une solution. Par exemple, ces dilemmes ont été soumis à toutes sortes de catégories d’individus afin d’établir ou d’infirmer l’existence d’une position morale dominante. La norme est-elle d’être utilitariste ou déontologiste ? Ailleurs, l’analyse de l’activité cérébrale a été mise à contribution pour comprendre si nos réponses à ces dilemmes relèvent d’une évaluation rationnelle de la situation ou si elles sont parasitées par nos émotions. Enfin, des réponses ont été cherchées du côté de la théorie darwinienne de l’évolution. Si la morale est le fruit de l’évolution, la logique de la sélection naturelle ne devrait-elle permettre de justifier nos décisions ou de rendre compte de nos hésitations face à ces dilemmes ?
      Toutes ces nouvelles études sur les fondements de la morale sont intéressantes. Mais elles manquent souvent de recul. C’est là que le livre de David Edmonds s’avère très utile. Il a en effet le grand mérite de raconter l’histoire de ces dilemmes, de les rattacher à des situations concrètes et d’offrir une synthèse d’une grande clarté de tous les débats qu’ils ont suscités. On comprend ainsi mieux d’où ils proviennent, ce qu’ils signifient et ce qu’ils impliquent. À la fin du livre, D. Edmonds nous dit s’il faut ou non pousser le gros monsieur. Mais, au-delà de sa réponse, c’est toute son analyse qui vaut le détour.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 256, février 2014.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr

Autres livres à signaler :

— Paul Bloom, Just Babies. The Origins of Good and Evil, Bodley Head, 2013.

— Joshua Greene, Moral Tribes. Emotion, Reason and the Gap Between Us and Them, Penguin Press, 2013.