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Compte rendu des livres suivants :

Einstein et la relativité générale.
Les chemins de l'espace-temps,

de Jean Eisenstaedt,

Préface de Thibault Damour,
CNRS Éditions, 2002.

L'Univers a-t-il une forme ?

de Roland Lehoucq,

Flammarion, 2002.

      Merveilleuse construction intellectuelle, la relativité générale a parfois été considérée comme la plus belle des théories physiques existantes. Créée en 1915 par Albert Einstein et censée remplacer la théorie newtonienne de la gravitation, elle a toutefois gardé pendant longtemps le statut d'une théorie marginale. Elle connut pourtant assez rapidement des succès éclatants. D'abord, elle réussit à expliquer l'avance du périhélie de l'orbite de Mercure sur laquelle avait buté la théorie de Newton ; et dès 1919, on observa — comme Einstein l'avait prédit — que les rayons lumineux étaient courbés à proximité du Soleil. Mais en dehors de ces phénomènes, la théorie de Newton demeurait tout à fait satisfaisante sur un plan pratique. Aussi pouvait-on continuer à travailler dans un cadre newtonien, et n'utiliser la relativité générale que pour apporter aux calculs d'éventuelles corrections relativistes. Ce n'est désormais plus le cas. À partir des années 1960, la relativité générale est en effet sorti de son splendide isolement avec l'entrée en scène d'objets — à l'époque théoriques — comme les trous noirs et les ondes gravitationnelles, et avec la découverte d'objets astrophysiques à très fort champ gravitationnel comme les pulsars binaires. Jean Eisenstaedt, qui en retrace ici l'histoire pour les non-spécialistes, parle alors d'une « renaissance » de la relativité générale. Notamment, il montre que c'est à partir de cette époque que les physiciens ont vraiment réussi à s'extirper du carcan newtonien.
      Ce parcours historique est une bonne façon de comprendre comment Einstein bouleversa de fond en comble les conceptions usuelles du temps et de l'espace en exigeant tout simplement que les lois de la physique soient les mêmes dans tous les systèmes de référence, quel que soit leur mouvement. Le bouleversement avait en fait déjà commencé en 1905, avec la relativité restreinte, quand Einstein avait montré que le temps et les distances n'étaient pas absolus mais dépendaient de la vitesse relative de celui qui les mesurait (c'est pour cela que l'on parle d'espace-temps, et non plus du temps d'un côté et de l'espace de l'autre). Mais avec l'étape supplémentaire franchie en 1915, on voit pourquoi les effets de la gravitation doivent désormais s'interprèter comme la manifestation d'un changement de la courbure de l'espace-temps occasionné par de la matière et de l'énergie. Si les rayons lumineux sont courbés à proximité du Soleil, ce n'est donc pas parce qu'ils subissent son attraction, mais parce que ce dernier a déformé l'espace-temps dans son voisinage (un peu comme un poids posé sur un lit déforme le drap). De même, en avançant dans le siècle jusqu'au renouveau de la relativité générale, on finit par comprendre qu'un trou noir n'est pas un corps si dense que la lumière n'arrive pas à s'en échapper, mais une déformation de l'espace-temps, créée par l'effondrement d'une étoile sur elle-même, au sein de laquelle la matière et l'espace disparaissent.
      Si cette promenade le long des chemins de l'espace-temps est à plus d'un titre éclairante, il y a toutefois un domaine de recherche qui a profité de ce renouveau de la relativité générale et dont Eisenstaedt ne parle pas. Il s'agit de la branche de la cosmologie qui étudie la forme de l'univers. Certes, on s'était interrogé depuis qu'Einstein avait établi les équations de la relativité générale sur la géométrie de l'univers, c'est-à-dire sur sa courbure globale. On espérait ainsi déterminer si l'univers était fini ou infini. Mais on se rend compte désormais que, pour une même courbure, il peut exister plusieurs formes. Et comme le montre Roland Lehoucq dans son stimulant petit livre qui s'adresse comme le précédent à un public de non-spécialistes, il se pourrait alors que l'univers réel ait une taille inférieure à l'univers observable ! C'est que, tout simplement, la forme « chiffonnée » de l'univers pourrait créer l'illusion qu'il y a plus d'étoiles et de galaxies qu'il n'y en a en réalité, un peu comme un miroir dans une pièce peut donner l'impression qu'elle est plus grande qu'elle ne l'est. Décidément, ces chemins de l'espace-temps méritent le détour…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 136, mars 2003.

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