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Compte rendu du livre :

La Tyrannie de la science,

de Paul Feyerabend,

Présenté et édité par Eric Oberheim,
Traduit de l’anglais et préfacé par Baudouin Jurdant,
Éditions du Seuil (Science ouverte), 2014.
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En 1992, le philosophe des sciences Paul Feyerabend (1924-1994) a donné une série de quatre conférences sur la nature de la connaissance. Les voici enfin réunies dans ce volume. Celui que l’on a accusé d’être « le pire ennemie de la science » y critique les philosophes et scientifiques qui estiment que la science offre une vision unitaire du monde. Notamment, Feyerabend y avance que l’idée d’une science monolithique, qui constituerait la mesure ultime de la connaissance, relève d’une conception impérialiste du savoir. Il va même jusqu’à suggérer que l’expression « la science » serait à abandonner, tant l’activité des chercheurs recouvre une multitude d’approches de la réalité plurielle qui nous entoure. Feyerabend reconnaît bien sûr que ce que l’on range sous ce terme de « science » peut se targuer d’un certain succès sur le plan empirique. Mais, à ses yeux, ce succès peut, et doit, être détaché de l’idéologie de la vision unitaire, à laquelle il ne doit pas grand-chose.
       Dans ces conférences, pour déconstruire cette idée d’une science unitaire, Feyerabend remonte à son origine et cherche à montrer qu’elle ne s’imposait pas du point de vue du savoir. Il analyse ainsi quelques philosophes grecs (principalement Platon, Parménide et Xénophane) et expose la part d’arbitraire de leurs arguments en faveur d’une connaissance unitaire. Bien que cette façon de procéder revienne à montrer que ces arguments sont invalides, Feyerabend ne se place pas vraiment sur le registre de l’argumentation
. Préférant raconter des histoires à propos d’Homère et des tragédiens grecs, que les philosophes de l’époque critiquaient, il essaye plutôt de mettre en avant l’intérêt que présentent les visions du monde de ces poètes, qui seraient autrement plus riches que celles des philosophes.
       Ce va-et-vient entre les sciences modernes, la philosophie et la poésie grecque peut dérouter les lecteurs d’aujourd’hui de ces conférences, pour ne rien dire de l’impression que Feyerabend a dû laisser aux auditeurs devant qui il les a prononcées. Mais cet effet est voulu par ce philosophe qui a toujours cherché, et souvent réussi, à bousculer les façons dominantes de penser…

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 265, décembre 2014.

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