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Compte rendu des livres suivants :

Delusions of Gender.
The Real Science Behind Sex Differences,

de Cordelia Fine,

Icon Books, 2010.

Brain Storm.
The Flaw in the Science of Sex Differences,

de Rebecca Jordan-Young,

Harvard University Press, 2010.

      Le cerveau des femmes est, en moyenne, plus petit que celui des hommes. Au XIXe siècle, ce constat servait à expliquer une prétendue infériorité intellectuelle de la gent féminine. De nos jours, plus personne n'attribue de valeur à cet argument. Il n'est d'ailleurs plus question de parler d'« infériorité ». Reste que l'on estime encore très souvent que chaque sexe aurait des aptitudes différentes et que celles-ci devraient pouvoir s'expliquer par des facteurs anatomiques ou physiologiques. Du coup, les cerveaux des deux sexes sont toujours auscultés sous toutes leurs coutures et, régulièrement, des scientifiques annoncent avoir trouvé pourquoi les femmes seraient moins portées vers la logique, plus enclines à communiquer, moins avides de positions de pouvoir, davantage capables d'empathie, etc. Bref, il aurait été montré scientifiquement que les « hommes viennent de Mars, et les femmes de Vénus ».
      Selon les livres de Cordelia Fine et de Rebecca Jordan-Young, derrière ces explications, fondées sur les techniques les plus modernes d'imagerie cérébrale, de mesures des taux d'hormones, d'analyses neuronales, etc., se dissimulerait une nouvelle forme de sexisme. Pour montrer les failles de cette biologie du sexe, ces deux ouvrages reviennent en effet sur la « littérature » où la supposée différence d'aptitudes entre hommes et femmes est expliquée par des différences anatomiques et physiologiques. Et leur conclusion est sans appel : ces explications sont construites à coup de simplifications, d'inconsistances, d'hypothèses gratuites et de généralisations abusives… Voici rapidement un exemple à propos d'une explication très en vogue de nos jours.
      Pour les biologistes, les cerveaux d'un embryon mâle et d'un embryon femelle sont similaires lors des premières phases de leur développement dans l'utérus. Mais, à partir de la huitième semaine, les testicules de l'embryon mâle relâcheraient une forte quantité de testostérone. Y aurait-il un lien entre cet afflux d'hormones et les comportements censés distinguer les hommes des femmes ? Des expériences conduites sur des rats suggèrent que l'idée est plausible. C'est suffisant pour que beaucoup de psychologues et neurobiologistes affirment que le taux élevé de testostérone dans l'embryon mâle a pour conséquence d'initier des processus biochimiques qui « masculiniseraient » son cerveau et expliquerait, par exemple, la plus grande agressivité des petits garçons comparés aux petites filles. Pourtant, quand les expérimentations sont faites sur des macaques, et non des rats, les résultats ne sont pas concluants. La généralisation à l'homme, à partir du rat, est donc abusive. Sans parler du fait que, même en s'en tenant aux rats, toutes les expériences sont loin d'être probantes. Les préconceptions sexistes de certains chercheurs les auraient donc conduit à conclure trop rapidement à l'influence de la testostérone sur la « masculinisation » des aptitudes.
      Si vous avez tendance à croire les scientifiques quand ils affirment avoir trouvé où et comment la différence des sexes est gravée dans le cerveau, il faut lire ces deux ouvrages complémentaires. Celui de Fine s'adresse à une plus large audience et aborde davantage la question du rôle des genres dans la société. Celui de Jordan-Young, qui aborde en plus la question de l'orientation sexuelle, s'adresse plutôt à des lecteurs initiés. Au-delà de cette différence, tous deux ont le grand mérite de nous inviter à développer un esprit critique face à des discours auréolés du label « science », qu'ils concernent ou non la biologie du sexe.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 230, octobre 2011.

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