Compte rendu du livre :
Le Siècle du gène,
de Evelyn Fox Keller,
Traduit de l'anglais par Stéphane Schmitt,
Préface de François Jacob,
Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 2003.Ce livre sur l'histoire de la génétique au XXe siècle aurait pu s'intituler « Naissance, apothéose et déclin de la notion de gène ». Ce siècle a en effet vu naître la notion de gène ; l'a vue ensuite être considérée comme la clef de tous les mystères de la vie — au point que d'aucuns ont parlé d'une véritable mystique du gène (Dorothy Nelkin et Susan Lindee, La mystique de l'ADN, Belin, 1998) — ; et finalement, vers sa fin, ce XXe siècle a vu apparaître cette notion de gène comme un obstacle potentiel à la compréhension du vivant. L'ironie est que ce sont les succès de la génétique au cours du siècle qui ont miné radicalement cette notion sur laquelle elle s'était fondée.
Le gène, d'abord concept purement logique, fut conçu au début du XXe siècle comme une sorte d'« atome du vivant » qui permettait d'expliquer la transmission de caractères de génération en génération. Mais, s'il fut ainsi considéré comme l'unité fondamentale de l'hérédité, rien n'indiquait qu'il correspondait à un substrat matériel. Ce n'est que dans les années 1940 que furent avancés les premiers éléments de réponse à la question de savoir de quoi sont faits les gènes. Puis, en 1953, James Watson et Francis Crick convainquirent les biologistes que les gènes étaient des molécules réelles et, en particulier, qu'ils n'étaient rien d'autre que de l'acide désoxyribonucléique (ADN). Dans ce modèle, le gène allait se voir attribuer une double fonction : il allait devenir à la fois le plan de l'organisme à construire et le maître d'œuvre. D'où l'idée qu'en décodant l'ADN on percerait le secret de la vie. Mais cette notion de gène conduisit finalement à une impasse. Petit à petit, les généticiens se rendirent compte que la dynamique des interactions des différents éléments qui intervenaient au niveau cellulaire était plus fondamentale que l'agencement de ces soi-disant entités. Le « livre de la vie » ne pouvait par conséquent résider dans un tel substrat matériel.
Faut-il par conséquent se débarrasser de la notion de gène ? Pas encore, dit E. K. Keller, puisqu'une notion problématique, très mal définie, peut éventuellement être encore utile. En revanche, nul doute qu'il faut se préparer à s'en passer. Comme elle jouit encore d'une grande célébrité, on peut espérer en tout cas que ce livre court, clair et précis permettra justement à plus d'un lecteur de comprendre pourquoi elle est bien au bord de l'effondrement.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 142, octobre 2003.
Pour acheter ce livre : Amazon.fr
![]()