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Compte rendu du livre :

Ainsi s'achèvent les expériences.
La place des expériences dans la physique du XXe siècle,

de Peter Galison,

Traduit de l'anglais (américain) par Bertrand Nicquevert,
Éditions La Découverte (Textes à l'appui), 2002.

      Il y a plusieurs façons de concevoir le rapport entre les théories et les expériences scientifiques. On peut bien sûr considérer que les observations sont indépendantes des différentes hypothèses théoriques et que cette autonomie expérimentale permet de sélectionner ces dernières sans ambiguïté. On peut aussi affirmer que les expériences n'ont aucun pouvoir de sélection des théories et que ce sont des intérêts sociaux qui expliquent les choix opérés par les scientifiques. Ces approches contrastées rencontrent toutefois beaucoup d'objections. Il semble donc préférable de reconnaître à la fois que les expériences peuvent servir à tester les théories, et que ce qui est observé n'a de sens que dans un cadre théorique. Mais se pose alors la difficile question de savoir comment les expériences prennent fin.
      Pour répondre à cette question, il faut bien sûr montrer comment les attentes théoriques façonnent ce qui est observé. En général les philosophes et historiens des sciences se contentent pour cela de mettre en parallèles certaines expériences de psychologie de la perception avec certains moments clefs de l'histoire des sciences. Ainsi, ils rappellent que confronté à une seule image, on peut dans certain cas voir tantôt un lapin, tantôt un canard, mais jamais les deux en même temps. Et ils racontent par exemple qu'aucun astronome n'avait vu bouger l'objet céleste qu'on appela par la suite Uranus tant qu'il était identifié à une étoile. Un tel procédé est certes évocateur. Mais la manière dont les présupposés théoriques affectent précisément les expériences n'est pas véritablement éclaircie.
      C'est justement tout l'intérêt du livre novateur de Peter Galison de montrer en détail, à propos de trois expériences importantes du XXe siècle, comment les physiciens transformèrent péniblement des signaux expérimentaux en arguments jugés convaincants de l'existence de tel effet ou de telle particule. Dans chaque cas, on voit comment la théorie influença l'interprétation des résultats expérimentaux, mais on voit aussi comment en retour ceux-ci conduisirent les physiciens à repenser leurs raisonnements. Aucun argument ni aucune observation ne fut donc immédiatement décisif. C'est uniquement dans un jeu de va-et-vient entre expérience et théorie, et uniquement quand l'accord entre ce que l'on attendait et ce que l'on « voyait » fut jugé suffisant, que les expériences purent s'achever.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 128, juin 2002.

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