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Compte rendu du livre :

Objectivité,

de Lorraine Daston et Peter Galison,

Traduit par Sophie Renaut et Hélène Quiniou
Préface de Bruno Latour,
Les Presses du Réel, 2012.

objectivite

      L'objectivité a une histoire ! Tel est l'étonnant résultat de l'enquête des historiens des sciences Lorraine Daston et Peter Galison. D'aucuns rétorqueront immédiatement que l'objectivité est une notion atemporelle. Ces sceptiques voudront bien reconnaître qu'il est possible que les savants des siècles passés n'aient pas été objectifs ; mais cela soulignerait l'historicité de la science, non l'historicité de l'objectivité elle-même. Pourtant, comme le montre minutieusement ces deux historiens, il n'est pas toujours possible de viser dans le même temps la vérité et l'objectivité : décrire une chose telle qu'elle apparaît n'est pas forcément la décrire telle qu'elle est. Les transformations, du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle, de cette différence entre vérité et objectivité sont justement ce que ces deux auteurs nous racontent.
      Pour écrire cette histoire, ils se fondent sur les albums scientifiques, c'est-à-dire ces ouvrages riches en iconographie où les savants donnent à voir la nature qu'ils étudient. Ils y décèlent trois grands moments successifs : celui de la « vérité d'après nature », celui de « l'objectivité mécanique », puis celui du « jugement exercé » (c'est-à-dire « qualifié »). Le premier, qui commence au XVIIIe siècle, est celui où les naturalistes cherchent à représenter le spécimen le plus typique d'une classe d'objets (une espèce végétale, par exemple), voire son archétype. Cela les conduit à sélectionner et à parfaire le spécimen jusqu'à obtenir une image représentative de la classe. Ensuite, vers le milieu du XIXe siècle, certains savants commencent à s'indigner de cette pratique, la jugeant subjective. Une autre époque s'ouvre alors, où le scientifique cherche à s'effacer devant la nature : l'image doit être une représentation mécanique de ce qui est perçu. Enfin, au XXe siècle, vient le moment où l'on professe que, pour voir la nature telle qu'elle est, il faut entraîner son regard. Par exemple, pour qui n'a pas appris à les lire, beaucoup de photographies d'expériences scientifiques ne veulent rien dire. Il faut un « jugement exercé » pour les décrypter. Désormais la nature ne s'offre plus directement au regard.
      En montrant aussi comment à chacun de ces moments correspondent différents ethos de la science, les auteurs de ce livre nous apprennent superbement à nous méfier de la fausse simplicité de l'injonction « soyez objectif ».

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 237, mai 2012.

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