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Compte rendu du livre :

Philosophie des sciences historiques.
Le moment romantique,

Textes réunis et présentés par Marcel Gauchet,

Seuil (Points Histoire/L'histoire en débats), 2002.

      Leurs récits historiques étaient froids, ternes et monotones. Aussi ne pouvaient-ils pas représenter fidèlement le passé ! C'est ainsi que s'exprimaient les « historiens romantiques » dans la première moitié du XIXe siècle (Augustin Thierry, François Guizot, Jules Michelet, Edgar Quinet, etc.) au sujet de leurs prédécesseurs. Pour cette nouvelle génération d'historiens, un récit historique devait en effet être vivant, émouvant même, afin de faire revivre ce qu'avaient vécu les acteurs de l'histoire. D'où leur désir entre autres de dépeindre le passé dans sa « couleur locale ». Mais au-delà d'une réforme stylistique, et ô combien méthodologique, grâce à laquelle ils entendaient obtenir une peinture enfin fidèle du passé et ainsi bien marquer ce qui les en séparait, ces historiens cherchaient aussi à montrer ce qui les rattachait à ce passé. Leurs récits historiques devaient par conséquent manifester le sens de l'histoire. Or, en ce début du XIXe siècle, pour ces jeunes libéraux, l'histoire conduisait à la Révolution française qui rétrospectivement en révélait le sens. Plutôt que de parler des grands personnages historiques, ils firent alors entrer les masses dans l'histoire, leur attribuèrent les mérites du progrès de la civilisation et racontèrent leur lente émancipation dans le cadre des nations. L'histoire devenait en quelque sorte une philosophie de l'histoire.
      En rendant explicite ce « programme », nombre de textes de l'époque deviennent pour nous un merveilleux matériau pour entreprendre une réflexion sur la méthode historique. La réédition d'un choix de ces textes, pas toujours accessibles, et la présentation qu'en fait Marcel Gauchet sont donc bienvenues. On reste toutefois étonné de voir ce philosophe parler en permanence du travail de ces historiens comme d'une science, et notamment de le voir soutenir que « l'histoire-science » serait née à cette époque ! En perpétuant, comme si elle allait de soi, la vision qu'avaient les historiens romantiques de leurs œuvres, Marcel Gauchet fait fi de près de deux siècles de réflexion critique sur l'histoire. Curieux ! En tout cas, pour ceux qui, après avoir lu ces textes passionnants, voudraient approfondir leur connaissance des historiens romantiques, on ne saurait trop conseiller l'excellente synthèse de Ceri Crossley, malheureusement non traduite en français, French Historians and Romanticism (Routledge, 1993).

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 133, décembre 2002.

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