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Compte rendu du livre :

Quand les nations refont l'histoire.
L'invention des origines médiévales de l'Europe,

de Patrick J. Geary,

Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Ricard,
Aubier (Collection historique), 2004.

      Plusieurs ouvrages ont récemment essayé de montrer que les nations européennes ne remontent pas à la nuit des temps. Leur folklore, leurs traditions, leurs emblèmes, etc., ne seraient effectivement pas issus d'un long processus historique, mais auraient tout simplement été inventés aux XVIIIe et XIXe siècles (voir, par exemple, Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, Seuil, 1999). À cela, on a pu objecter que, même si les nations ne sont pas des entités intemporelles, elles ne sont pas pour autant de pures inventions modernes. Que des peuples n'aient pris conscience de leur identité qu'assez récemment et qu'ils aient « habillé » celle-ci de tout un ensemble de traits culturels n'enlèverait rien au fait qu'ils pouvaient exister avec leur particularisme avant même d'en avoir conscience ! Du coup, tout nationaliste peut encore prétendre que son peuple a acquis comme un droit de propriété sur un certain territoire dans un passé lointain. Il en va ainsi des revendications politiques qui renvoient aux prétendues acquisitions territoriales des Germains au Ier siècle, à celles des Croates au VIe siècle, à celles des Hongrois au IXe siècle, etc.
      Or, pour Patrick Geary, cette notion de peuple, à l'identité culturelle et linguistique bien définie, est inacceptable. Relisant l'histoire des grandes invasions, Geary montre en effet que les noms de peuples barbares utilisés par les auteurs de l'Antiquité et du Moyen Âge n'étaient finalement que des étiquettes qui ne représentaient rien de fixe. De fait, avec les changements continuels des liens d'allégeance, les mariages, les conquêtes, ces noms semblent avoir été la seule chose immuable. Les peuples barbares qui transformèrent le monde romain étaient, comme d'ailleurs les Romains eux-mêmes, des entités politiques plutôt qu'ethniques, associant des groupes d'origines culturelles, linguistiques et géographiques diverses, D'où l'absurdité à voir dans ces étiquettes des désignations ethniques susceptibles de justifier des revendications nationalistes. Bref, un très bon livre d'histoire, éminemment politique.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 155, décembre 2004.

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