On entend souvent dire que, au Moyen-Âge, les gens croyaient que la Terre était plate. C’est faux. Dès l’Antiquité, la rotondité de la Terre a été établie. Puis, à quelques exceptions près, les navigateurs, savants, philosophes et théologiens de la période médiévale ne croyaient pas à la platitude de notre planète. Comment se fait-il donc que l’on entende si souvent que les hommes et femmes du Moyen-Âge avaient une conception erronée de sa forme ? D’où vient ce mythe de la croyance persistante en la Terre plate ? Telle est la question que posent les deux auteures de ce livre, toutes deux historiennes des sciences et des savoirs.
Après avoir établi l’état des connaissances sur la forme de la Terre au cours du Moyen-Âge, et avoir clairement montré que la croyance en sa platitude à cette époque est bien un mythe, les deux auteures retracent avec précisions l’élaboration de ce dernier depuis lors. Elles montrent qu’il apparaît à petites touches au xviie siècle à travers des désirs de se démarquer des siècles précédents, se renforce sous la plume anticléricale de Voltaire au xviiie siècle, avant de s’enraciner fortement au xixe siècle à travers « l’héroïsation des figures de Galilée et de Christophe Colomb et, plus généralement, de découvreurs ou de savants supposés avoir rendu à la Terre sa sphéricité que lui aurait déniée l’Église pendant près d’un millénaire ». Le mythe est donc né à travers le mélange d’une paresse intellectuelle, d’un désir de reléguer le passé dans l’obscurantisme et d’une volonté de faire de l’Église une puissance maléfique voulant absolument imposer une image fausse du monde. Enfin, les deux auteures donnent maints exemples de la présence encore très régulière de ce mythe au xxe et xxie siècles, même dans des ouvrages savants.
Cette généalogie d’une idée fausse est doublement intéressante. Non seulement, elle illustre parfaitement la façon dont la construction du savoir historique peut être fortement empreinte d’idéologie, et cela jusqu’à nos jours, mais elle montre aussi que, ironie de l’histoire, on peut participer à l’obscurantisme tout en voulant le combattre. Face à ces travers, les deux auteures plaident pour une place plus importante de l’histoire des sciences dans l’éducation. On ne saurait leur donner tort.
Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines,
345, mars 2022.
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