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Compte rendu du livre :

Les Dispositions en philosophie et en sciences,

de Bruno Gnassounou et Max Kistler (eds),

CNRS Éditions (CNRS Philosophie), 2006.

      « Pourquoi l'opium fait-il dormir ? [...] Parce qu'il a une vertu dormitive. » Ainsi Molière ridiculisait ceux qui recouraient aux formes substantielles et produisaient par là même des explications purement verbales. Expliquer l'action d'une substance uniquement en faisant référence au principe de son action revenait, en effet, à ne rien expliquer. Pour cette raison, Descartes crut bon de bannir de ses explications toutes les formes substantielles qu'utilisaient selon lui les partisans de la scolastique. Mais, vouloir suivre ses recommandations était une chose, y parvenir en était une autre. Dans L'Évolution de la mécanique (1903), le physicien Pierre Duhem affirmait ainsi qu'il était impossible de se passer complètement de ces formes substantielles. La seule chose à faire était de s'efforcer d'en limiter le nombre.
      Malgré cette tentative de réhabilitation, les formes substantielles ont conservé leur mauvaise réputation. Par exemple, une bonne partie de la philosophie des sciences au XXe siècle a continué de les bannir sous prétexte qu'il n'était pas possible de leur attribuer une signification empirique : de fait, si on peut voir un morceau de sucre se dissoudre, on ne peut pas observer sa solubilité. Mais cet ostracisme est désormais remis en question, tant les « concepts dispositionnels » — nouveau nom des formes substantielles — apparaissent finalement indispensables dans nombre d'explications, que ce soit dans la vie quotidienne ou en science. C'est en tout cas ce que tentent de montrer les onze contributions de cet ouvrage dirigé par Bruno Gnassounou et Max Kistler. Prenons un exemple simple : s'il était toujours possible d'expliquer les propriétés d'un corps (comme la solubilité) par sa structure sous-jacente, comment expliquer les propriétés des particules élémentaires, qui sont jusqu'à nouvel ordre dépourvues de parties ? En somme, ces analyses permettent de réfléchir sur ce qu'est une explication et, du coup, de porter un regard neuf sur l'histoire de la philosophie.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 177, décembre 2006.

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