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Compte rendu du livre :

Evolutionism in eighteenth-century French thought,

de Mary Efrosini Gregory,

Peter Lang, 2008.

      Combien de fois ne lit-on pas que Charles Darwin a découvert l'évolution ? Cette thèse est fausse, bien sûr. Darwin n'est pas le Christophe Colomb de l'évolution. On trouve des traces d'une pensée évolutionniste dans l'Antiquité, à la Renaissance puis tout au long de l'époque moderne. D'ailleurs, à défaut de connaître le nom de plusieurs grands évolutionnistes ayant précédé Darwin, tout le monde — ou presque — sait qu'au début du XIXe siècle le chevalier de Lamarck a, lui aussi, proposé une théorie de l'évolution. Pourquoi donc, en sachant que c'est faux, toujours répéter que Darwin a découvert l'évolution ? Pour résoudre cette énigme, il n'est pas inutile de se demander d'où vient l'idée d'évolution avant Darwin.
      Dans Creationism and Its Critics in Antiquity (University of California Press, 2008), David Sedley a récemment étudié son émergence dans l'Antiquité à travers les débats entre ceux qui estimaient que le monde est l'œuvre d'un designer et ceux qui imaginaient qu'il s'est assemblé tout seul. De façon très stimulante, cet auteur montrait comment ces débats font directement écho aux querelles actuelles entre évolutionnistes et créationnistes.
      Dans le livre que voici, Mary Efrosini Gregory analyse quant à elle la pensée évolutionniste en France au XVIIIe siècle. L'intérêt de cette perspective est qu'elle fait bien comprendre que l'évolution fut avant tout un schème explicatif répondant à deux besoins. D'abord, sur un plan plutôt abstrait, il servait à donner à la question de nos origines une réponse autre que celle d'inspiration religieuse. Ensuite, il permettait d'ordonner, à travers une explication apparemment plus cohérente, la multiplicité de données empiriques concernant les êtres vivants. À l'époque des Lumières, la tâche n'était pas aisée. Par exemple, Benoît De Maillet et Julien Offray de La Mettrie étaient transformistes, mais en considérant que les différentes espèces proviennent de germes distincts. Le comte de Buffon s'approcha de l'idée d'évolution pour finalement ne lui attribuer qu'un caractère limité. C'est surtout avec Pierre Louis Moreau de Maupertuis et Denis Diderot que l'on arrive à une véritable pensée de l'évolution, même si celle-ci n'atteint pas le degré de maturité qu'elle aura chez Darwin.
      En lisant cette présentation très méthodique de différents auteurs confrontés à l'idée d'évolution, on prend du plaisir à suivre les tâtonnements de la pensée évolutionniste. Or c'est justement ces premiers balbutiements de l'évolution qui semblent gêner de nos jours. Par peur des créationnistes, on voudrait que l'évolution soit une découverte, un peu comme le fut celle des Amériques. Les débats seraient plus simples ; ou plutôt, il n'y aurait plus de débat possible : comment nier ce que l'on peut toucher ou voir directement ? Pourtant, il n'est nullement besoin de recourir à cette épistémologie naïve pour défendre la pertinence de la thèse évolutionniste. Il y a des schèmes explicatifs qui finissent par avoir force d'évidence.
      En cette année 2009, où Darwin est à juste titre célébré à travers le monde, tandis que les créationnistes contestent toujours son apport, cette plongée dans la préhistoire de l'évolutionnisme est donc salutaire. Elle incite à ne pas se mettre, à son tour, à colporter des fables. On s'est débarrassé de celle d'Adam et Ève. Évitons maintenant de répéter que Darwin a découvert l'évolution, tel un héros mythique révélant d'un seul coup à une humanité plongée dans les ténèbres le mystère de ses origines. La théorie de l'évolution mérite mieux.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 204, mai 2009.

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