Publié dans   

 

Compte rendu du livre :

Garibaldi,

de Jérôme Grévy,

Presses de Sciences Po (Références/Facettes), 2001.

      La véritable naissance des nations européennes, ou plus exactement leur invention, est relativement récente. Loin d'être le fruit d'un long processus historique, elles sont nées quand une poignée d'hommes déclara qu'elles existaient et entreprit de le prouver. Mais cette invention des nations reposait sur l'idée que leurs origines s'enracinaient dans un lointain passé. La « naissance » devenait en quelque sorte une renaissance.
      Dans le cas de l'Italie, l'histoire officielle célèbre ainsi les trois figures héroïques de cette renaissance, ou résurrection (risorgimento en italien), qui débuta en 1815 et prit fin lors de l'unification de la Péninsule en 1870. Alors que Mazzini en aurait été le penseur, Cavour le diplomate, Garibaldi était perçu comme le bras armé.
      Savoir qui fut exactement ce troisième héros de l'Italie moderne n'est pas chose aisée, tant les mythes recouvrent le personnage. Mais cela ne gêne guère Jérôme Grévy qui, plutôt que de chercher « à détruire les mythes pour accéder au vrai », prend les mythes pour objet d'étude afin de comprendre ce qu'ils révèlent sur cette fabrication de l'unité italienne.
      Tout le monde s'entend pour tracer à grands traits l'histoire de ce jeune marin, né en 1807, qui fut contraint à l'exil en raison de ses sympathies pour l'action de Mazzini (1834). Pourtant, dès cette première étape, le processus d'héroïsation était en marche. Garibaldi fut en effet, sans l'avoir vraiment cherché ni mérité, érigé en modèle pour les militants de la « Jeune Italie », l'organisation révolutionnaire de Mazzini qui se cherchait des mythes mobilisateurs. Désormais, les combats auxquels Garibaldi allait prendre part allaient tous être racontés sur un même mode épique qui magnifiait son action.
      Se demander s'il fut un bon stratège est pour la même raison une question piégée. On louait certes à l'époque « les vertus du combattant généreux et brave ». Mais c'était de la part de ceux qui entouraient Cavour une façon de nier qu'il possédait celles d'un homme d'État. La légende de l'un servait ainsi la politique de l'autre. Quant à souligner que Garibaldi avait combattu pour et avec le peuple, c'était une façon de donner l'illusion de la popularité du Risorgimento.
      Cet essai de mythologie politique montre ainsi avec clarté comment la fabrication de la légende de Garibaldi servit à façonner l'unité italienne.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 127, mai 2002.

Pour acheter ce livre : Amazon.fr