Compte rendu du livre :
La Religion des intellectuels français au XIXe siècle,
de Jérôme Grondeux,
Éditions Privat, 2002.Va-t-on en finir avec la religion ? Certains le pensent, tant pour eux modernité et religion s'opposent. Plus subtil, Marcel Gauchet, tout en défendant depuis une vingtaine d'années la thèse selon laquelle les sociétés démocratiques se seraient lentement mais sûrement émancipées de leur héritage religieux sur un plan politique et social, reconnaît que la religion reste présente comme source de sens. Nous avons beau être passés d'une société où la vie sociale était organisée par la religion, en conformité avec les commandements divins, à une société où les lois ne sont plus reçues de l'extérieur, le besoin subjectif de croire demeure pleinement présent. En quelque sorte, pour Gauchet, Dieu n'est pas mort, mais il a cessé de se mêler des affaires de la cité. Il serait néanmoins possible de parler d'une « sortie de la religion » au sens où nous serions passés d'une société hétéronome, qui tient ses principes « d'en haut », à une société autonome, dont la légitimité procède « d'en bas ».
Sans avoir l'intention d'analyser le bien fondé de cette thèse, le livre très didactique que nous offre Jérôme Grondeux sur la relation des « intellectuels » français à la religion au cours du XIXe siècle apporte un éclairage utile sur ce qui constituerait un moment crucial de ce « passage » vers l'autonomie. Selon Grondeux, ce siècle semble en effet pouvoir se décomposer suivant trois phases. Une première phase qui va jusqu'à 1840 environ où on voit nombre d'intellectuels (De Maistre, Bonald, Chateaubriand, etc.) œuvrer à un renouvellement de la religion pour donner une nouvelle assise à la société après le « choc » de la Révolution française. Une seconde phase où beaucoup d'intellectuels (Cousin, Comte, etc.) ont cherché à remplacer la religion par la philosophie ou par la science. Enfin, une dernière phase, qui commencerait vers les années 1880, où les grandes productions idéologiques des deux époques précédentes auraient provoqué d'intenses débats sans que de nouvelles grandes synthèses ne se dégagent.
Si, au cours de ses trois phases, la recherche d'un fondement de la société dans une extériorité divine s'est de fait globalement muée en des tentatives d'autofondements à travers l'idéal démocratique, une certaine religiosité a néanmoins continué d'être présente dans les idéologies tournées vers l'avenir (idéologie du progrès, marxisme, etc.). Reste à savoir si nous en sommes toujours imprégnés ? Mais cela est un autre débat.Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 138, mai 2003.
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