Compte rendu du livre :
Voir et connaître à l'âge classique,
de Philippe Hamou,
PUF (Philosophies), 2002.La vue semble être le sens privilégié de la connaissance. Mais est-on sûr qu'elle nous donne un accès direct et fiable aux objets qui nous entourent ? La réponse n'est pas évidente. En tout cas, dans l'Antiquité, on vit se développer trois grandes théories réalistes de la vision. Il y avait celle qui recourait à l'idée d'un rayon visuel émis par l'œil ; celle qui postulait l'existence de simulacres se déplaçant de l'objet à l'œil ; et la très influente théorie d'Aristote qui considérait que la forme de l'objet vu, mais non sa matière, pouvait être reçue par l'œil grâce à la transparence du milieu intermédiaire. Cette dernière théorie, perfectionnée durant la période médiévale, devint toutefois incompréhensible pour les savants du XVIIe siècle. Comme le montre Philippe Hamou dans cet excellent petit livre, leur approche de la vision s'était en effet radicalement transformée avec le développement de l'anatomie de l'œil, de la perspective, et des instruments d'optique (lunette astronomique, microscope).
Quand il apparut qu'il existait un mécanisme oculaire conduisant à la formation sur la rétine d'une sorte de peinture, possédant toutes les propriétés d'une image perspective, il devint naturel de penser que la vision, loin d'être une saisie des choses mêmes, ne faisait que fournir à l'esprit une image qu'il devait interpréter. Quant aux instruments d'optique, il firent prendre conscience que si nos yeux avaient été configurés, par exemple, comme des microscopes, le monde nous serait apparu différemment. La vue n'offrait donc plus une prise directe sur les choses, mais une image qui en masquait la profondeur authentique. Ainsi, au même moment où les savants du XVIIe siècle découvraient la multiplicité des mondes visibles, ils perdaient toute possibilité d'établir un contact direct avec l'un de ceux-ci, puisqu'ils n'avaient plus affaire qu'aux effets que les choses avaient sur leurs sens et non aux choses elles-mêmes.
Les théories de la vision développées par Descartes, Malebranche, Locke et Berkeley témoignèrent de cette « mutation du visible » : toutes défendirent l'idée que voir c'était interpréter ; et toutes furent par conséquent confrontées au difficile problème de l'adéquation de la perception aux objets perçus. Si la plupart des théories modernes de la vision sont les héritières directes de cette tradition, il est intéressant de noter que quelques philosophes s'appuyant sur des théories alternatives prônent, en quelque sorte, un retour au bon vieux réalisme d'Aristote (voir par exemple Jacques Bouveresse, Langage, perception et réalité, Éd. Jacqueline Chambon, 1995).
Thomas Lepeltier, 2003.
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