L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Rigor Mortis.
How Sloppy Science Creates Worthless Cures,
Crushes Hope, and Wastes Billions
,
Richard Harris
Basic Books, 2017.

En 2005, John Ioannidis, professeur de médecine à l’Université de Stanford, publie un article intitulé « Pourquoi la plupart des découvertes publiées sont fausses ». Il y dénonce le manque de rigueur d’une grande proportion de la recherche médicale. L’article marque le début de ce qu’il est convenu d’appeler depuis lors la « crise de la reproductibilité » en science, c’est-à-dire la prise de conscience qu’un grand nombre de résultats publiés par les revues scientifiques sont très souvent impossibles à reproduire. Inutile de dire que cette situation est particulièrement problématique en médecine où il en va de la santé de la population. Dans ce livre, le journaliste scientifique Richard Harris enfonce le clou en dressant un tableau sans concession des inepties de la recherche médicale. Le titre en latin, Rigor Mortis, qui désigne la rigidité cadavérique, évoque ici la mort de la rigueur en médecine.

Harris commence par revenir sur différentes études ayant confirmé le constat de Ioannidis et montre, exemples à l’appui, comment les chercheurs se fourvoient dans leurs travaux. Il y a bien sûr, comme dans toute activité de recherche, des expériences mal conçues ou mal interprétées et un manque de contrôle autant des méthodes que des résultats. Mais il y a aussi des problèmes inhérents à la médecine. Par exemple, Harris souligne que les lignées cellulaires à partir desquelles nombre de recherches s’effectuent sont souvent contaminées par des cellules indésirables, sans que les chercheurs ne s’en soient rendus compte. Il dénonce aussi le fait que les anticorps utilisés sont loin de toujours correspondre à ce qu’ils sont censés être. Enfin, pour donner un dernier exemple, Harris questionne l’utilisation massive des animaux comme modèle de l’humain étant donné que ce protocole entraîne nombre d’erreurs médicales.

Pourquoi une telle gabegie ? Il y a bien sûr la pression énorme à laquelle sont soumis les chercheurs pour obtenir des crédits et publier dans un monde où la quantité et la rapidité comptent parfois plus que la qualité. Il y aussi la réticence de ces chercheurs à partager leurs données et résultats négatifs. Il y a enfin leur tendance à se précipiter vers des programmes de recherche ayant potentiellement un fort impact sur la société. Harris estime toutefois qu’il est possible de réinsuffler un peu de sérieux dans la recherche médicale et présente plusieurs initiatives allant dans ce sens. Mais, au-delà de ces réformes bienvenues, la recherche médicale réussira-t-elle à retrouver le chemin de rigueur ? Rendez-vous dans quelques décennies…

Thomas Lepeltier,
La Recherche, 527, septembre 2017.


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