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Compte rendu du livre :

Les Racines sociales et économiques des Principia de Newton,

de Boris Hessen,

Traduction de l'anglais et commentaires de Serge Guérout,
Postface de Christopher Chilvers,
Vuibert, 2006.

      Il y a des conférences qui font date. Fin juin 1931, une importante délégation soviétique se rendit au IIe Congrès international d'histoire des sciences et des techniques qui se tenait à Londres. La rencontre des délégués soviétiques et des occidentaux faillit faire un flop tant les références constantes des premiers aux pères du marxisme et au matérialisme dialectique avaient tendance à agacer les seconds. Pourtant, l'intervention d'un certain Boris Hessen (1893-1936) ne manqua pas de retenir l'attention. À l'encontre d'une histoire des sciences conçue en terme de génies animés d'une pure soif de connaissances, Hessen prétendit que les Principia (1687) d'Isaac Newton, où est établie la loi universelle de la gravitation, avait des racines sociales et économiques. Plus spécifiquement, Hessen avança (1) que les recherches entreprises par Newton étaient principalement déterminées par les enjeux économiques et techniques de son époque et (2) que Newton adopta dans sa physique un compromis entre la causalité mécanique et l'intervention divine qui n'était pas sans faire écho au compromis auquel la bourgeoisie aboutit avec l'aristocratie féodale en 1688 lors de la Glorieuse révolution. Le contexte social et économique n'ayant jamais été à ce point rattaché à un monument de l'histoire des sciences, l'analyse d'Hessen était véritablement novatrice.
      La publication en français de son intervention, accompagnée d'un important appareil critique, plus de 70 ans après la version anglaise, est donc à saluer. Certes, c'est un texte qui a beaucoup vieilli, ne serait-ce qu'à cause de son jargon marxisant passé de mode. Mais il demeure une référence incontournable dans les débats entre internalistes et externalistes en histoire des sciences. Enfin, au-delà de cette problématique, souvent mal comprise, il a le grand mérite de souligner la responsabilité sociale des scientifiques, quoi qu'en disent ces derniers. Ce qui en fait un texte toujours d'actualité.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 174, août-septembre 2006.

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