L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
The Myth of Mirror Neurons.
The Real Neuroscience of
Communication and Cognition,
de Gregory Hickok,
W. W. Norton, 2014.

Tout est parti d’une découverte fortuite. Dans les années 1990, des neurobiologistes remarquèrent par hasard que certains neurones, qui s’activaient quand un macaque saisissait un objet, s’activaient aussi quand l’animal observait un expérimentateur faire le même geste. Le concept de « neurone miroir » était né. En quelques années, ces neurones, qui ont pour particularité de s’activer quand on exécute une action ou quand on observe quelqu’un d’autre l’exécuter, allaient devenir la nouvelle coqueluche des neuroscientifiques. Ces derniers y virent en effet un moyen de rendre compte de très nombreux processus cognitifs et comportements sociaux. Notamment, ils les invoquèrent pour expliquer l’aptitude à communiquer, à apprendre et à ressentir de la compassion envers autrui. Par exemple, des neuroscientifiques avançèrent que l’empathie pouvait s’expliquer par le fait que, si une personne en voit une autre pleurer ou souffrir, ses neurones miroirs s’activent comme si c’était elle-même qui pleurait ou souffrait. Inversement, pour expliquer le manque d’empathie de certaines personnes, il suffisait d’évoquer des défaillances dans leurs neurones miroirs. Certains chercheurs allèrent même jusqu’à avancer que l’autisme provenait d’un mauvais fonctionnement de ces neurones miroirs.

Mais, pour Gregory Hickok, cet engouement pour les neurones miroirs, largement relayé dans la presse généraliste, est injustifié. Ce spécialiste en sciences cognitives ne remet pas en question leur existence. Mais il conteste, arguments empiriques à l’appui, le rôle prépondérant qu’on leur fait jouer. Donnons quelques exemples de ses reproches. D’abord, Hickok fait remarquer que toutes les spéculations sur le rôle de ces neurones chez l’être humain viennent principalement d’études menées chez le macaque alors même que leur réseau neuronal respectif fonctionnent différemment. Ensuite, Hickok souligne que, chez l’être humain, des lésions dans le système des neurones miroirs n’entraînent pas de déficits de compréhension des actions d’autrui. En particulier, une destruction des neurones miroirs ne rend pas autiste. Enfin, pour donner un dernier exemple, Hickok rappelle que voir une personne en frapper une autre n’incite pas forcément à se mettre dans la position de celui qui frappe, mais éventuellement dans celle de sa victime. L’acquisition de compétences et la compréhension d’une situation ne se réduisent donc pas à un simple effet miroir. Ces critiques incitent Hickok à chercher à intégrer les neurones miroirs dans un modèle explicatif plus complexe des bases neuronales de la cognition et de la communication.

Au vu de ces failles dans les explications reposant sur les neurones miroirs, comment expliquer leur grand succès, autant chez les spécialistes qu’auprès des média ? Pour Hickok, c’est principalement en raison de leur simplicité qu’elles ont conquis les esprits : tout le monde était trop heureux de disposer d’une explication simple de mécanismes cognitifs complexes. Mais si, comme Hickok le prétend, les neurones miroirs ne jouent pas le rôle qu’on a pu leur attribuer, il faut en conclure que nombre de nos facultés mentales restent encore mystérieuses. Au-delà du problème de ces neurones, cet ouvrage a donc le mérite de nous rappeler que les neurosciences sont encore très spéculatives et que les annonces régulières de découvertes majeures en ce domaine doivent être reçues avec prudence.

Thomas Lepeltier,
Sciences Humaines, 276, décembre 2015.


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Autres livres à signaler :

— Sally Satel et Scott O. Lilienfeld, Brainwashed. The Seductive Appeal of Mindless Neuroscience, Basic Civitas Books, 2013.

— Pier Francesco Ferrari et Giacomo Rizzolatti (eds), New Frontiers in Mirror Neurons Research, Oxford University Press, 2015.