Compte rendu du livre :

L'Invention technique au siècle des Lumières,

de Liliane Hilaire-Pérez,

Préface de Daniel Roche,
Albin Michel (L'Évolution de l'Humanité), 2000.

     Où est-il plus facile d'être entrepreneur ? En France ou en Angleterre ? La question est certes d'actualité mais elle n'est pas nouvelle. Le mérite du livre de Liliane Hilaire-Pérez est justement de comparer avec minutie les relations entre inventeurs et institutions dans ces deux pays au XVIIIe siècle. Elle aurait certes pu faire commencer son étude avant le siècle des Lumières puisque le concept de propriété intellectuelle (distinct de celui de propriété des objets), qui définit les modalités de l'exploitation marchande d'une invention et sur lequel repose donc toute cette problématique, devient un concept important dès l'essor des villes et du commerce à la fin du Moyen Âge. Mais ce n'est vraiment qu'au XVIIIe siècle que ces deux pays en viennent véritablement à symboliser deux types différents de relation entre le pouvoir et les inventeurs ; bien qu'en ce domaine, comme le montre l'auteur, toute opposition trop systématique risque de faire perdre de vue les dynamiques de transferts et d'emprunts entre pays. En tout cas, en comparant les monopoles d'invention, les récompenses et les encouragements accordés aux inventeurs, l'auteur peut quand même conclure qu'en Angleterre l'individu était placé au cœur du processus d'innovation, l'État se contentant d'apporter un soutien financier ; alors qu'en France, c'était l'État lui-même qui se chargeait, à travers diverses institutions, d'accorder primes et privilèges aux artisans les plus méritants, adoptant ainsi une logique plus collective basée sur l'expertise savante. Autrement dit, l'inventeur anglais était plutôt soumis au seul verdict des consommateurs, investisseurs et concurrents, alors que l'inventeur français s'en référait au « tribunal de la science » qui légitimait les dérogations et protections dont il pouvait bénéficier.
     Le grand intérêt du livre est que cette analyse comparée de l'invention technique au XVIIIe siècle ne relève pas uniquement de l'histoire des techniques ou de l'histoire économique mais s'inscrit également dans une histoire des représentations, au sens où l'auteur essaye de montrer comment s'articulaient les notions d'innovation, de stabilité, de changement, etc., dans la société des Lumières.

Thomas Lepeltier, 2001.

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