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Compte rendu du livre :

The Threat to reason.
How the Enlightenment was Hijacked and How we can Reclaim it,

de Dan Hind,

Verso, 2008.

      Pas un jour où l'on ne dit que la raison est menacée. L'essor du fondamentalisme religieux et du créationnisme, la vogue de l'ésotérisme et du new age, le développement des médecines alternatives et l'emprise grandissante du postmodernisme sur les esprits sont perçus comme un risque croissant pour l'héritage des Lumières. D'où les appels récurrents des rationalistes à s'unir pour défendre la raison. Mais est-ce une vraie menace que font courir ces différents courants de pensée ? Ou un rideau de fumée qui nous détourne de dangers bien plus sérieux pour l'esprit critique ? Pour Dan Hind, il n'y a pas de doute : dans cet essai iconoclaste, il montre comment les défenseurs proclamés de la raison entretiennent souvent l'irrationalisme qu'ils prétendent dénoncer, voire se rendent complices de véritables attaques contre la raison.
      Hind ne rejette pas les Lumières. Mais il se méfie de ceux qui les invoquent constamment dans le contexte d'un soi-disant conflit entre la raison et la foi ou entre la science et la croyance. Comme si l'esprit critique pouvait s'accommoder de ces oppositions tranchées et comme si les Lumières n'avaient à être défendues que contre un ennemi extérieur… Se revendiquant du philosophe Emmanuel Kant, Hind estime que s'il y a bien quelque chose à retenir des Lumières c'est l'objectif d'une pensée autonome, celle qui refuse l'autorité et qui argumente ouvertement. Or, à partir de multiples exemples, il montre comment l'État, y compris celui de nos sociétés démocratiques, et les grandes entreprises capitalistes cherchent régulièrement à manipuler les esprits, rendant toute autonomie de la pensée impossible. C'est davantage la propagande, l'appel à l'autorité scientifique, la culture du secret et la recherche immodérée du profit qui minent l'exercice de la raison plutôt que tel ou tel gourou en quête d'approche holistique.
      Quelle erreur donc de croire que l'on peut sauver l'héritage des Lumières en opérant un grand partage entre la raison et la déraison ! Traiter les « terroristes » de fanatiques irrationnels, c'est bien souvent refuser d'analyser les contextes politiques qui leur ont donné naissance. Se focaliser contre la lecture littérale de la Bible des évangélistes américains, c'est s'empêcher de comprendre les combinaisons politiques et financières qui leur permettent de prospérer. Se mobiliser contre les médecines alternatives, c'est presque systématiquement fermer les yeux sur les agissements douteux des entreprises pharmaceutiques. Accuser le postmodernisme de n'être qu'un relativisme absurde, c'est oublier l'importance du scepticisme dans toute démarche cognitive et passer sous silence la régulière collusion des experts et du pouvoir. Et ainsi de suite.
      Court, incisif, provocant, ce livre n'est pas sans limites ni défauts. Mais il atteint incontestablement son objectif, celui de nous pousser à réfléchir sur un mode de pensée et une société qui érigent le spectre d'une raison menacée par le démon de l'irrationnel, comme pour mieux échapper à l'autocritique.

Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 198, novembre 2008.

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