L’univers livresque
de Thomas Lepeltier
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Compte rendu du livre :
 
Current Perspectives on Sexual Selection.
What’s left after Darwin ?,
de Thierry Hoquet (sous la direction),
Springer, 2015.

Environ 150 ans après la publication de L’Origine des espèces de Charles Darwin, où en est le principe de sélection sexuelle ? Telle est la question qui se trouve au cœur de ce recueil dirigé par le philosophe des sciences Thierry Hoquet. Rappelons que, pour son inventeur, la sélection sexuelle, qui sert à expliquer le succès reproductif des individus, rend compte de deux types de traits : d’un côté, les traits des mâles (comme les bois des cerfs) qui leur permettent d’intimider ou de vaincre physiquement leurs rivaux pour monopoliser les femelles ; de l’autre, les traits (comme l’extraordinaire queue des paons) qui rendent des individus plus attractifs auprès du sexe opposé. Simple dans sa formulation, ce principe de sélection sexuelle n’est pas sans soulever beaucoup de questions, comme en témoignent les articles très riches de ce livre.

Par exemple, supposons qu’il y a très longtemps les paons différaient peu des paonnes et qu’une attirance pour les mâles ayant une queue ample et colorée se soit développée chez ces dernières. Dans ce cas, les paons ayant cette qualité auraient, par rapport à leurs rivaux moins bien fournis, eu davantage de chance de trouver une partenaire pour batifoler. Cette préférence des femelles aurait eu pour conséquence que, à la génération suivante, un plus grand nombre de mâles se seraient retrouvés avec une longue traîne. Le processus se serait bien sûr répété de génération en génération, entrainant l’accroissement de cet ornement. Toutefois, une trop grande queue pouvant être un handicap, la croissance de cette dernière se serait arrêtée quand les désavantages en termes de survie l’auraient emporté sur les avantages en termes de séduction.

Dans cette histoire, la préférence des femelles est donc le moteur de l’évolution de l’ornement des mâles. Mais ce scénario ne dit rien sur les raisons de l’apparition de cette préférence. Or, sur ce sujet, les opinions divergent depuis 150 ans. Faut-il y voir un choix arbitraire, l’expression d’un sens esthétique ou une stratégie implicite pour sélectionner les mâles les plus prometteurs sur le plan de la reproduction ? Question délicate dans la mesure où il n’est pas certain que la « beauté » témoigne d’une plus grande capacité de reproduction.

Contrairement à ce que présuppose le scénario ci-dessus, il n’est également pas établi que les paonnes préfèrent les paons ayant la queue la plus imposante, ni que ce soit d’ailleurs toujours elles qui choisissent. D’une manière générale, c’est même toute l’idée que, « par nature », les femelles seraient plus sélectives et les mâles plus volages qui est aussi remise en cause de nos jours. Le rôle des sexes serait en effet très flexible, en fonction des circonstances. Du coup, certains chercheurs proposent d’abandonner ce concept de « sélection sexuelle », fondé sur l’idée de compétition, pour le remplacer par celui de « sélection sociale », qui mettrait l’accent sur la collaboration. Ainsi les femelles ne chercheraient pas tant à sélectionner les mâles ayant les « meilleurs » gènes qu’à choisir simplement ceux qui seraient prêts à les aider à élever leur progéniture.

Dans ce livre qui présente l’ensemble des débats qui agitent la communauté biologique aujourd’hui à propos du concept darwinien de sélection sexuelle, il apparaît toutefois que la proposition de s’en débarrasser suscite de nombreuses protestations. Ces désaccords donnent lieu à des débats passionnants que ce livre a le mérite de relayer tout en fournissant un éclairage bienvenu sur leur histoire.


Thomas Lepeltier, Sciences Humaines, 270, mai 2015.


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Autre livre à signaler :

— Peter Godfrey-Smith, Philosophy of Biology, Princeton University Press, 2014.